Pour Edith
Stein, le choix du carmel est celui de l’humilité, mais aussi une manière de
mettre ses connaissances au service de Dieu. / CARMELITES .NET
Le choix
du silence (3/5). Étonnant
destin que celui de cette juive allemande, première femme Docteur en
Philosophie, assistante d’Husserl qui, douze ans après avoir été baptisée,
répond à l’appel du Carmel.
Un chandelier à sept branches. Un enfant Jésus dans une mangeoire. Des
traductions manuscrites de Thomas d’Aquin. Une urne contenant de la terre du
camp d’Auschwitz. Ces quatre objets, parmi bien d’autres exposés dans le petit
musée du monastère Sainte-Madeleine à Spire (Allemagne), suffisent à résumer
l’exceptionnel destin d’Edith Stein.
Une femme entourée de mystères
Comment cette philosophe parmi les plus brillantes de sa génération, née
dans une famille juive pratiquante de Silésie, a-t-elle pu entrer au carmel et
mourir dans les chambres à gaz, victime de la Shoah et témoin du Christ?
Certes, l’appel à tout quitter pour une vie cloîtrée relève toujours du
mystère. D’ailleurs, Edith Stein disait qu’il s’agissait là d’un « secret ». « Non parce qu’elle refusait d’en parler, mais
parce qu’elle en était débordée», précise Bénédicte Bouillot, célibataire
consacrée de la communauté du Chemin-Neuf, enseignante de philosophie au Centre
Sèvres et au Studium du Chemin-Neuf à Chartres, et dont la thèse sur Edith
Stein vient d’être publiée (1). Toutefois pour Edith Stein, cet appel à 42 ans
surprend davantage, même s’il s’inscrit dans une lente maturation intérieure.
Phénoménologie
En fait, à 26 ans, Edith Stein, alors professeur de philosophie et
proche des principaux membres de la phénoménologie – Edmund Husserl, Adolf
Reinach, et Max Scheler –, avait été marquée par la réaction de Pauline Reinach
après la mort au front de son mari : loin d’être anéantie, elle était portée par
sa foi en la résurrection. « C’était la
première rencontre d’Edith Stein avec la croix glorieuse, mais elle n’avait pas
encore rencontré le Crucifié », interprète Bénédicte Bouillot.
Cette rencontre se fera par l’intermédiaire de Thérèse d’Avila, dont elle
lit La Vie à 30 ans, lors d’un séjour chez une autre amie chrétienne. C’est à
ce moment-là qu’elle décide de demander le baptême… ce qui se fera quelques
mois plus tard, en janvier 1922.
Pour sa famille, cette « conversion » est d’autant plus douloureuse
qu’elle choisit non pas le protestantisme, vers lequel la portait son milieu
intellectuel, mais le catholicisme, considéré alors en Prusse comme pleine de
traditions incompatibles avec les exigences rationalistes.
Consécration de cœur
En réalité, Edith Stein découvrira une cohérence profonde entre
l’anthropologie catholique et la philosophie de la personne qu’elle avait
commencé à élaborer. Il reste que pour elle, ce choix de l’Église catholique
correspond à une démarche d’abaissement, d’humilité.
Dès sa rencontre avec le Christ, elle savait que Dieu lui réservait une
place au carmel, explique Edith Stein dans Comment je suis entrée au carmel de
Cologne ? – qu’elle a offert à sa maîtresse des novices en 1933.
Mais sur les conseils de son père spirituel, elle renonce à entrer tout
de suite au carmel et vient à Spire,
enseigner l’allemand et l’histoire à l’école normale féminine du couvent des
dominicaines de la Madeleine, tout en suivant les offices et en vivant déjà une
consécration de cœur.
Travail de traduction
Pendant ses temps libres, elle se lance dans la traduction en allemand
de John Henry Newman, puis, encouragée par le philosophe jésuite Erich
Przywara, du De veritate de saint Thomas d’Aquin – pour la première fois
traduit en allemand.
« Il m’est apparu à la lecture de
Saint Thomas qu’il était possible de mettre la connaissance au service de Dieu
et c’est alors seulement que j’ai pu me résoudre à reprendre sérieusement mes
travaux. Il m’a semblé en effet que plus une personne est attirée par Dieu,
plus elle doit sortir d’elle-même pour aller vers le monde en y portant l’amour
divin », écrira plus tard Edith Stein pour expliquer son travail de
rapprochement entre le thomisme et la philosophie moderne, notamment la
phénoménologie.
Pendant ses onze années à Spire, Edith Stein a donc porté cet appel du
carmel, attendant le moment opportun. Et c’est en 1933, privée du droit de
parler en public par le régime nazi, qu’elle frappe à la porte de celui de
Cologne, intimement persuadée que, selon son expression, « au-dessus de ce
monde en flammes, se dresse la croix que rien ne peut consumer ».
Les carmels de Cologne et d’Echt
Totalement détruit par un bombardement d’octobre 1943, le carmel
allemand de Cologne dans lequel était entré Edith Stein en 1933 n’existe plus.
Un nouveau carmel a cependant été reconstruit à Cologne dès 1949, non loin de
la cathédrale, sur les lieux de la première fondation de 1637. Une quinzaine de
carmélites y vivent actuellement.
En revanche, le carmel d’Echt, dans la province du Limbourg aux
Pays-Bas, et dans lequel Edith Stein a vécu de 1939 à 1942, existe toujours.
Une pièce hors clôture qui lui était réservée, car elle continuait à recevoir
des visites, a été transformée en petit musée avec des objets personnels de la
carmélite. Et dans l’église paroissiale d’Echt toute proche, sont toujours
conservés sa coule et son diplôme de doctorat signé de son directeur de thèse,
Edmund Husserl.
Claire Lesegretain
(1) Le noyau
de l’âme selon Edith Stein. De l’épochè phénoménologique à la nuit obscure, Éd.
Hermann, 494 p., 38 €
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