Le 5
août 2007, le cardinal Jean-Marie Lustiger rejoignait la Maison du Père. Jean
Duchesne, qui a travaillé longtemps à ses côtés, nous livre ses souvenirs.
Aleteia : Dix ans après sa mort, quels sont les traits les plus
marquants que vous retenez de la vie du cardinal Lustiger ?
Jean Duchesne : Ce qui
reste le plus parlant est peut-être le titre qu’il a donné à son livre
autobiographique: Le Choix de Dieu. Cela peut s’entendre de trois
manières. Il y a d’abord, dans le droit fil de la Révélation, l’initiative
divine, le choix fait par Dieu d’un homme qui sera en quelque sorte son héraut.
Puis il y a le choix, fait par celui qui a été ainsi appelé, de se consacrer
entièrement à servir le dessein de Dieu. Enfin il y a les adhésions de tous
ceux auxquels cet élu a fait comprendre qu’ils étaient eux aussi choisis et
appelés à entrer dans l’élection, non pas passivement, mais en en relayant
l’appel par l’exemple de leur vie aussi bien que par la parole. Aucun de ces
choix n’est évident. C’est flagrant dans le cas d’Aron Jean-Marie Lustiger, qui
a découvert le Christ pratiquement tout seul, que la Shoah a privé de sa mère
et qui est devenu contre toute attente cardinal-archevêque de Paris. Sa voix a
résonné bien au-delà des milieux ecclésiaux qu’il a re-dynamisés en leur
donnant de nouveaux moyens : Radio Notre-Dame, l’École Cathédrale, le
Séminaire, de nouvelles églises futuristes, les JMJ de 1997, KTO, les
Bernardins, etc. La liste de ses œuvres est longue.
Vous avez déclaré qu’il était un homme de la parole avant d’être un
homme de l’écrit. Il y avait chez lui une urgence de la prédication ? Est-ce
depuis la chaire qu’il a finalement bâti l’essentiel son œuvre ?
À l’exemple du Christ qui n’a rien écrit, le père Lustiger a
effectivement donné la priorité à la prédication. Les publications, mais aussi
la communication audiovisuelle, en sont les prolongements, un peu de même que
l’Esprit saint a veillé à ce que la Loi et les prophètes ne restent pas une
tradition purement orale et à ce que les évangélistes puis les missionnaires
rendent objectivement accessibles les paroles de Jésus. Il faut ajouter que la
prédication était pour lui partie intégrante de la liturgie où le Christ se
rend présent et actif sans rester muet ni attendre que ses ministres se contentent
d’accomplir mécaniquement les rites.
On le disait d’un caractère rugueux. Vous qui l’avez côtoyé de près,
qu’avez-vous pu deviner du Lustiger des profondeurs ?
Le cardinal s’impatientait devant les conformismes en tous genres, qui
lui semblaient des paresses aussi bien intellectuelles que spirituelles. Ce
n’était pas simplement une belle intelligence critique et le recul d’une
réflexion informée par des lectures vraiment tous azimuts. C’était
essentiellement un effort presque farouche pour entrer dans « les pensées de
Dieu » par la méditation de sa Parole, avec l’aide de maîtres tels que saint
Ignace de Loyola, et surtout par la célébration des sacrements qui mettent en
œuvre cette Parole.
Quelle était l’influence de son parcours de juif converti dans son
approche de la foi ?
Le père Lustiger était un juif non pas converti, mais baptisé. Il ne
pouvait pas ne plus être fils d’Israël. Son parcours a certainement contribué à
la redécouverte de l’enracinement du christianisme dans le judaïsme. Mais c’est
bien avant, sans attendre Vatican II et avec le renouveau biblique dans
l’exégèse, la théologie, la liturgie et la spiritualité, que cette
ré-appropriation avait commencé. Il l’a confirmée en l’incarnant par son
symétrique : en donnant l’image d’un juif se reconnaissant chez lui dans le
christianisme.
En 2006, le cardinal déclarait « le progrès de l’Église ne consiste
pas à s’adapter à la société telle qu’elle devient, mais à lui apporter la
force de l’Évangile ». Il invitait plus loin les chrétiens à « avoir le courage
d’être à contre-courant ». Quel pourrait être son héritage pour les chrétiens
d’aujourd’hui ?
Je ne crois pas du tout que le cardinal Lustiger ait prêché uniquement
pour que les chrétiens aillent à contre-courant. Il leur a au contraire demandé
de montrer à la culture européenne et occidentale qu’elle risquait de perdre ce
qu’elle avait de plus fécond si elle oubliait qu’elle l’avait reçu de la Bible
et de l’Évangile.
Propos recueillis par Thomas Renaud.
Jean Duchesne est exécuteur littéraire du cardinal Lustiger, il est
aussi membre du conseil scientifique de la Fondation Jean-Marie Lustiger dont
vous pouvez retrouver l’actualité ici.
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