Père Matthieu Rougé, actuellement prêtre de la paroisse
Saint-Ferdinand des Ternes (Paris 17e) était le secrétaire particulier du Cardinal
Jean-Marie Lustiger de 2000 à 2003. Il a accepté de revenir pour nous – dix ans
après sa mort – sur la relation singulière qu’il entretenait avec lui.
Témoignage.
Comment êtes-vous arrivés au poste de secrétaire particulier ?
Je suis l’un des douze prêtres à
avoir eu la grâce d’être le secrétaire particulier du Cardinal Jean-Marie
Lustiger. Le premier ayant été Monseigneur André Vingt-Trois. Le cardinal
savait qu’il était exigeant d’être son secrétaire et changeait de secrétaire
tous les deux ou trois ans. Et un jour, le sort est tombé sur moi et j’ai eu la
chance pendant trois ans de travailler au quotidien avec lui.
Vous y attendiez-vous ?
Ce n’est pas quelque chose que
j’avais vraiment imaginé. J’avais cependant eu l’occasion de travailler avec le
cardinal et de l’assister pour un ou deux évènements ponctuels et je savais
spontanément que nous aurions une bonne relation.
Quel était votre quotidien ?
Nous étions toute une équipe à
travailler avec lui. Personnellement, je partageais ses repas, sa prière, je
l’accompagnais dans tous ses déplacements, dans les paroisses ou à l’étranger.
Oui, je peux dire que j’ai partagé beaucoup de choses avec lui : des
enthousiasmes artistiques, des interrogations politiques ou géopolitiques.
On dit que c’était un homme intransigeant…
C’est vrai, il avait tellement
d’intuition et d’énergie qu’il n’était pas toujours facile de le suivre. Une
fois que nous nous sommes ajustés l’un à l’autre, nous avons travaillé de
manière très agréable, avec une grande confiance mutuelle et une simplicité
dans les rapports. L’énergie et l’intuition du Cardinal se payaient de temps en
temps au prix fort. Il fallait accepter que sa pensée s’exprime parfois de
manière éruptive. Le Cardinal avait un sentiment très fort qu’il fallait donner
le meilleur de soi-même au cœur de l’Évangile.
Quels sont vos souvenirs marquants ?
Mon souvenir le plus marquant,
c’est le Cardinal prêchant à Notre-Dame de Paris l’Évangile à la main. Il avait
une présence hors du commun pour dire la vitalité de la parole de Dieu et pour
dire la lumière que le christ constitue pour le monde d’aujourd’hui. Il avait
sans arrêts une disponibilité à saisir les occasions que la Providence nous
offrait d’annoncer l’Évangile. Ce qu’il a fait en particulier avec les
créations de nouveaux médias : Radio Notre-Dame ou KTO mais aussi dans
beaucoup d’autres circonstances, dès qu’il se passait quelque chose dans la vie
du monde.
Que lui inspiraient ses racines juives ?
Le rapport avec le judaïsme était
très important pour le Cardinal Lustiger. C’était un homme extrêmement pudique
et extrêmement blessé par la mort de sa mère. Il était toujours meurtri lorsque
les gens lui en parlaient avec une sorte de regard désinvolte. Il y avait aussi
une zone de pudeur à respecter mais évidemment son rapport au judaïsme était
quelque chose de constamment présent. Sa nomination en tant qu’archevêque
de Paris avait été mal reçue par les milieux juifs dans un premier temps.
Vingt-cinq ans plus tard, il était une personnalité très reconnue et très
appréciée de la communauté juive. Il était très reconnaissant envers Dieu du
chemin parcouru et aussi du soutien apporté par le Pape Jean-Paul II.
Quel rapport entretenait-il avec le Pape Jean-Paul II ?
Un lien de très grand respect et
de très grande confiance. Pour certains sujets, il était la seule personne à
laquelle il pouvait se confier en toute liberté. Si le Cardinal Lustiger me
disait qu’il avait besoin de voir le Pape Jean-Paul II, je décrochais mon
téléphone et nous organisions le rendez-vous dans les dix minutes. Le Pape
était très accessible pour le cardinal.
Dix ans après sa mort, que faut-il retenir comme message
spirituel ?
Aujourd’hui il y a une nostalgie
qui l’encense de manière inappropriée. L’important est de nous tourner vers
l’avenir. Le Cardinal était avant tout un croyant qui vivait de sa relation
avec Dieu. Plusieurs mois avant sa mort, lors d’une messe que nous célébrions
ensemble, il m’a ouvert son cœur en me confiant combien il était certain que
tout le bien qu’il avait pu faire, c’était l’œuvre de Dieu et tout le mal qu’il
avait pu faire, c’était sa résistance à l’œuvre de Dieu. Cette foi a une
humilité spirituelle de fond.
Des célébrations sont-elles prévues ?
Une messe
aura lieu à Notre-Dame de Paris à 18h30 le 5 août, date de sa mort et jour de
la Transfiguration.
Le dimanche 24 septembre à 18h30, il une autre messe sera célébrée par le
Cardinal XXIII à Notre-Dame de Paris. Enfin, le 12, 13 et 14 octobre, sera
organisé un grand colloque historique à l’Institut Jean-Marie Lustiger où nous
réfléchirons à la manière dont le Cardinal Lustiger a marqué l’Église dans une
période de crise et de recompositions, de son ordination
sacerdotale en 1954 à sa mort en 2007.
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