L’archevêque de Paris entre
1981 et 2005 nous a quittés voici 10 ans, le 5 août 2007. Et pourtant, il est
toujours parmi nous, avec nous.
Les cardinaux-archevêques de Paris ne sont pas des écrivains.
Jean-Marie Lustiger, qui exerça cette charge pendant près d’un quart de siècle
(1981-2005), fut cependant élu à l’Académie française. Pas seulement en raison
des livres qu’il avait publiés, encore moins parce qu’il aurait été candidat,
mais parce qu’il a été une des personnalités les plus marquantes de la société
française sous les présidences de François Mitterrand et de Jacques Chirac.
Une forte personnalité
Histoire exceptionnelle que celle de ce gamin juif du quartier
Montparnasse à Paris, né en 1926 : il lit en cachette à 11 ans une bible
protestante, y découvre que Jésus de Nazareth est le Messie promis à Israël,
demande le baptême quelques années plus tard et devient prêtre, aumônier de la
Sorbonne puis curé de paroisse avant d’être, à sa grande surprise, nommé évêque
d’Orléans – là où, réfugié pendant la guerre où il perdra sa mère, déportée à
Auschwitz, il est devenu chrétien – et, à sa plus grande surprise encore (et
d’ailleurs à l’étonnement de tous), archevêque de Paris et cardinal, proche du
saint pape Jean Paul II.
Sa parole porte bien au-delà de l’Église quand, en 1983-1984, il
défend la liberté de l’enseignement. Il promeut aussi la dignité de l’enfant à
naître et du mourant, le droit des croyants à l’expression dans l’espace public
et le respect des immigrés. Son charisme lui permet de resituer les débats
d’actualité dans l’horizon de l’histoire, creusé jusqu’aux mystères de la Croix
et du Salut. Il est régulièrement invité aux États-Unis où il perçoit l’impact
qu’auront les révolutions technologiques de la fin du XXe siècle, en Allemagne
où son itinéraire fascine, derrière le Rideau de fer où il souligne l’unité
spirituelle de l’Europe, et il s’emploie à la conforter après la chute du Mur
de Berlin qui a coïncidé avec la clôture du bicentenaire ambigu de la
Révolution française. Parce qu’il déplace et approfondit toujours les questions
qu’on lui pose, les médias le sollicitent sans cesse, mais il ne s’en sert que
lorsqu’il juge que c’est son devoir et que ces moyens sont adéquats à sa
mission.
Redynamiser l’Église
Il redynamise l’Église de Paris par toute une série d’initiatives :
Radio Notre-Dame, l’hebdomadaire Paris Notre-Dame, l’École Cathédrale pour la
formation des laïcs, un séminaire qui attirera quantité de jeunes hommes et
renouvellera puissamment le clergé parisien, la construction d’églises
nouvelles d’une architecture futuriste, l’action charitable et culturelle, les
JMJ de Paris en 1997, l’ouverture de la chaîne de télévision KTO en 1999 et,
dans les premières années du troisième millénaire de l’ère chrétienne, le
lancement du projet du Collège des Bernardins.
Un de ses exploits ignorés est le vote, obtenu en juillet 1987, d’une
loi sur le mécénat qui permet l’établissement de la Fondation Notre-Dame,
laquelle peut recueillir les dons non seulement de particuliers, mais encore de
grandes entreprises – ce qui rend possible de grandes réalisations témoignant
de la vitalité du catholicisme.
La cathédrale au cœur du diocèse
Sa prédication fait mouche et emplit sa cathédrale chaque dimanche
soir. Mais l’éloquence percutante n’est qu’un aspect de la liturgie qui est à
ses yeux essentielle et qu’il célèbre avec un soin et une intensité qui
impressionnent. Il fait sienne la formule du P. de Lubac résumant les
théologiens des premiers siècles : « L’Eucharistie fait l’Église ».
C’est-à-dire que l’assemblée devient le Corps du Christ lorsqu’elle s’en
nourrit et en reçoit la vie. Le cardinal Lustiger opère ainsi comme un
recentrage : ce qui compte n’est pas la présence visible des chrétiens et de
leurs institutions dans la société ; ces manifestations doivent avoir leur
source et leur aboutissement dans la participation à la messe où, en
communiant, on ne s’approprie pas le Christ mais on est, comme le dit saint
Augustin, en quelque sorte absorbé par lui et en lui.
Il reste, à cet égard, à redécouvrir le premier livre qu’il a publié
dès son retour à Paris comme archevêque : Pain de vie et peuple de Dieu
(Criterion, 1981) réunit des homélies sur la Fête-Dieu qu’il avait faites
dans sa paroisse et qui n’avaient pu trouver place dans ses Sermons d’un
curé de Paris (Fayard, 1978). Il n’y avait pas là que des commentaires
sur l’Eucharistie, mais bel et bien son programme !
Beaucoup de ses fondations portent le nom de Notre-Dame. Ce n’est pas
un hasard : il a voulu faire de la cathédrale le cœur du diocèse, son point de
ralliement et de rayonnement. Il l’a rénovée et embellie et la plupart des
services (chancellerie, maîtrise, maisons du séminaire…) sont à présent dans
les environs immédiats.
Le « cardinal juif »
Dans l’œuvre du cardinal Lustiger, il faut bien sûr mentionner le rôle
qu’il a joué dans ce qu’il a appelé les « retrouvailles » entre chrétiens et
Juifs. Les préventions compréhensibles que ces derniers pouvaient avoir sont
tombées devant ses contributions au règlement de l’affaire du carmel
d’Auschwitz (1986-1994), à la « déclaration de repentance » de Drancy et au
voyage de saint Jean Paul II à Jérusalem en 2000. Il a de plus réussi à établir
des liens, qu’a entretenus son successeur, avec les maîtres de l’orthodoxie
juive à New York, ceux-là mêmes qui avaient décliné l’invitation d’assister au
concile Vatican II en tant qu’observateurs.
Pour mieux connaître ce « père dans la foi », on peut renvoyer à ses
entretiens autobiographiques dans Le Choix de Dieu (de Fallois,
1987), et aussi à l’étude d’Henri Tincq, Le Cardinal prophète
(Grasset, 2012). La plupart de ses livres sont encore disponibles en librairie.
Un grand colloque aura lieu cet automne sur trois jours (12, 13 et 14 octobre)
à Paris sur le thème : « Jean-Marie Lustiger, entre crises et
recompositions catholiques ». Renseignements par mail à colloque@institutlustiger.fr. De
nombreuses informations (textes et documents) sont accessibles sur le site internet de l’Institut Lustiger
créé en novembre 2007 par le cardinal Vingt-Trois.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire