Saint
Joseph figure dans l’histoire de la Bible et
de l’Église comme « le grand silencieux ». S’il nous est possible d’accéder à
l’âme de la Vierge Marie à travers ses quelques phrases retenues dans les
évangiles, il n’en va pas de même pour son époux, Joseph. Pas une seule phrase
de lui n’a été rapportée par les évangélistes.
Pourtant,
ce silence non seulement ne nuit pas à sa sainteté mais il accorde une grande
profondeur à sa mission. Joseph a reçu l’annonce de l’ange en songe. Il s’est
levé pour accomplir la mission demandée par Dieu : prendre Marie pour épouse et
veiller sur l’enfant Jésus qui va naître, non pas du vouloir de l’homme mais de
l’Esprit Saint.
C’est
pourquoi saint Matthieu l’évangéliste l’appelle « juste ». Pour nous, le mot
justice nous fait penser à la justice sociale et aux revendications salariales.
Dans la Bible, la justice équivaut à la sainteté. Joseph est juste, non
seulement parce qu’il a travaillé correctement dans son atelier d’artisan dans
le bâtiment mais parce qu’il a ajusté sa volonté à celle de Dieu. La prière du Notre
Père a pris chair en lui : « Que
ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel ».
Un modèle pour les pères comme
pour les évêques
La
volonté de Dieu conduit précisément le croyant à la plus haute réalisation de
son existence, malgré les apparences. Nombreux sont ceux qui plaignent Joseph.
Un ami m’avouait un jour : « J’ai
toujours eu pitié de saint Joseph qui me semblait un personnage falot chargé
d’un mauvais rôle. Il n’était ni tout à fait un mari ni tout à fait un père.
Mais j’ai découvert la force de sa mission quand je suis moi-même devenu père.
À la naissance de mon premier enfant, j’ai été saisi d’un sentiment étrange. Ma
femme tenait dans ses bras le bébé qui venait de sortir de son sein. Il faisait
partie d’elle-même. Ce n’était pas mon cas. Le bébé s’interposait maintenant
entre la femme que j’aimais et moi. Recouvert de sang, ses cris ne me le
rendaient pas attirant. Je me suis dit intérieurement qu’il me fallait
l’accepter, l’adopter et
le reconnaître comme mon enfant. Et à ce moment-là, j’ai pensé à saint Joseph.
Me voilà en train de vivre sa propre démarche d’adoption. Quand mon deuxième enfant est arrivé, j’ai été de
nouveau habité par les mêmes sentiments et par la nécessité d’accomplir l’adoption, même si je n’avais
aucun doute sur ma paternité. »
Un
autre ami me faisait part un jour de ses difficultés avec son père. D’après les
explications de sa mère, lors de sa naissance, son père n’avait pas apprécié sa
couleur. Il ne l’avait pas adopté. Il ne l’aima pas vraiment. Dans
les pays à fort métissage, le type racial des enfants peut varier au cœur du
même couple. J’ai connu une famille à La Réunion où trois filles des mêmes
parents représentaient les trois continents – asiatique, africain et européen ,
en fonction de la couleur de leur peau et de leurs cheveux.
Au
fond, toute personne se trouve face au dilemme de l’adoption d’une manière ou
d’une autre. Pas d’adoption, pas d’engagement, pas d’amour. Il me semble
possible de parler d’adoption dans les différentes situations de l’existence :
notre corps, notre famille, notre histoire, notre pays, notre sexe, nos travaux
et missions… Nous avons à les adopter sous peine de vivre en contradiction
stérile avec nous-mêmes. À quoi bon rêver d’un autre corps, d’une autre
famille, d’un autre pays ou d’une autre Église que les nôtres ? « Avec
des si on mettrait Paris en bouteille » dit le proverbe. Le
complexe de victime et l’illusion d’une autre vie que celle que nous avons
reçue ne conduisent qu’aux protestations et à l’amertume, à l’image de celui
qui n’avait reçu qu’un talent au lieu de cinq ou de dix dans la parabole de Jésus (Matthieu 25, 14-30)
et qui passait son temps à critiquer et à répandre un mauvais état d’esprit.
Les comparaisons sont odieuses. Pourquoi se comparer alors que chacun est
unique ? Nous nous connaissons mal nous-mêmes et nous prétendons connaître les
chemins dans l’esprit des autres ?
L’exemple
de saint Joseph nous invite à l’action. Saint Joseph a vécu heureux : « Heureux ceux qui écoutent la parole du
Seigneur et la mettent en pratique » (Luc 11, 28). Si certains
peintres dépeignent saint Joseph quelque peu triste et en retrait par rapport à
la Vierge Marie et à l’enfant dans le souci de manifester qu’il n’est que le
père adoptif de Jésus, Fra Angelico le présente rayonnant dans son rôle. Dans
les fresques du couvent des Dominicains de Saint-Marc à Florence, le saint
patron des artistes met en lumière le sourire et la paix de l’âme de Joseph,
comblé dans sa mission.
L’étymologie
du mot « évêque » nous révèle le sens de cette charge : « veiller sur »,
« surveiller ». En ce sens, saint Joseph est le modèle des évêques,
surveillants du troupeau qui leur est confié par Dieu. Il arrive que saint
Joseph soir représenté dans l’art revêtu des vêtements du grand-prêtre. En effet, si le grand-prêtre veillait sur le temple, saint Joseph a veillé
sur son épouse, le temple de Dieu, « le buisson ardent », symbole de la
présence de la divinité. Saint Paul, inspiré par l’Esprit Saint, écrit aux
chrétiens de Colosses qu’en Jésus « habite corporellement la plénitude de la
divinité » (Colossiens 2, 9). La Vierge Marie a porté en son sein
corporellement cette plénitude de la divinité et saint Joseph a veillé sur elle
et sur le développement intégral de son fils adoptif, Jésus.
Abba ! Père !
«
Tel père, tel fils », disons-nous souvent en constatant l’influence de
l’éducation paternelle sur les actions de l’enfant. De son père Joseph, Jésus a
reçu une éducation humaine, spirituelle et professionnelle. Combien de fois
Jésus n’a-t-il pas prononcé le mot abba en s’adressant à son
père Joseph ? C’est précisément ce mot abba de la langue
araméenne, langue maternelle et paternelle de Jésus, qui deviendra la prière
originale de Jésus à Gethsémani la veille de sa Passion. Abba sera
aussi la prière de l’Esprit Saint dans le cœur des chrétiens comme le décrit l’apôtre saint Paul dans les épîtres aux Romains (8,
15-16) et aux Galates (4, 6). Maître Eckhart, le grand mystique
dominicain de l’École rhénane du XIVe siècle, affirme que nous ne prions pas
mais que « nous sommes priés », car ce n’est pas nous qui prions mais l’Esprit
qui intercède pour nous dans des gémissements ineffables.
Si
des enfants tremblent au souvenir violent de leur père, le mot abba évoquait
pour Jésus la tendresse et l’amour fidèle de son père Joseph. C’est ce mot
qu’il choisit pour s’adresser à Dieu son Père au jour de l’angoisse à
l’approche du supplice de la croix : « Abba ! Père ! Éloigne
de moi ce calice mais que ce ne soit pas ma volonté mais la tienne qui se fasse
» (Marc 14, 36).
Bien
que Nazareth ne soit pas citée dans la Bible, sa synagogue possédait un rouleau
important du prophète Isaïe comme le rappelle saint
Luc l’évangéliste. Au cours de sa vie publique, Jésus a imité le geste de son
père dans la même synagogue de Nazareth en lisant en hébreu le passage du prophète Isaïe qu’il commente en araméen
pour proclamer son accomplissement : « L’Esprit du Seigneur repose sur moi. Il
m’a envoyé porter la bonne nouvelle aux pauvres » (cf. Luc 4, 16-21).
Il
fallait que Jésus naisse de la tribu de David car il était le Messie annoncé par les prophètes (cf. Matthieu 1,
16). Jésus sera acclamé comme « fils de David » parce que fils de Joseph.
La
prière eucharistique numéro un cite saint Joseph. Sa participation au mystère du Salut est fondamentale.
Les
artistes chrétiens se sont plus à représenter la mort de saint Joseph honoré
par son épouse et par son fils Jésus. Joseph a aimé Jésus. Jésus a aimé son
père. Puissions-nous l’aimer comme Jésus l’a aimé ! Confions-lui nos soucis
matériels et spirituels. Homme de prière, il intercédera pour nous auprès de
son fils Jésus. Puissions-nous imiter aussi sa foi et sa fidélité!
Fr.
Manuel Rivero, o.p.
7 avril 2012
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