La Croix, le
01/05/2017
Edith Stein,
carmélite convertie du judaïsme et victime de la Shoah était béatifiée par
Jean-Paul II lors de sa visite à Cologne, en Allemagne, le 1er mai 1987. La
polémique qui avait éclaté contre cette béatification aura été l’occasion pour
les chrétiens de réfléchir à leur relation au judaïsme.
CONTEXTE
[CE JOUR-LÀ] Devant 75 000 fidèles réunis au stade de
Koln-Müngersdorf à Cologne, Jean-Paul II concélébrait le 1er mai 1987 la messe
de béatification d’Édith Stein, une carmélite d’origine juive assassinée à
Auschwitz en 1942. Un souhait que cultivait la Conférence épiscopale allemande
depuis sept ans.
Mais pour sa
seconde visite en Allemagne fédérale, le pape avait dû répondre aux craintes de
la communauté juive de récupération catholique d’une victime juive de
l’Holocauste. Il s’agissait, comme le rappelait la Croix dans son
édition du 30 avril 1987, de savoir si Edith Stein avait été assassinée «
parce qu’elle était catholique, ou parce que les Allemands la considéraient
comme juive, en dépit de son baptême et de sa consécration ».
En déclarant
notamment qu’Édith Stein, « une fille d’Israël, qui pendant les persécutions
des nazis est demeurée unie avec foi et amour au Seigneur Crucifié,
Jésus-Christ, telle une catholique, et à son peuple telle une juive »,
Jean-Paul II avait su apaiser les tensions. Il avait par ailleurs déclaré
souhaiter faire du jour anniversaire de sa mort (le 9 août) une commémoration
de la Shoah par toute l’Église catholique
Cette
béatification controversée « aura eu au moins le mérite d’obliger chrétiens
et juifs à s’interroger sur les relations de leur foi respective par-delà deux
mille ans d’exclusions, de pogroms et parfois de massacres » déclarait Jean
Potin, dans un éditorial de la Croix daté du 5 mai 1987.
Le
11 octobre 1998, Édith Stein était canonisée par le pape Jean-Paul II au
Vatican. Place Saint-Pierre de Rome, la cérémonie avait mobilisé une très large
délégation allemande, conduite par le chancelier sortant Helmut Kohl. La
Pologne était aussi très présente, avec notamment Jerzy Buzek, son premier
ministre.
ARCHIVES
Édith Stein : la folie de La Croix (La
Croix du 30 avril 1987), Par Bernard Léannec
La polémique
autour de la béatification d’Édith Stein, une carmélite d’origine juive, morte
à Auschwitz, s’intensifie.
Il s’agit de
savoir si Édith Stein a été assassinée parce qu’elle était catholique ou parce
que les Allemands la considéraient comme juive, en dépit de son baptême et de
sa consécration religieuse au Carmel de Cologne.
Dans son
testament, elle écrivit : « Je demande au Seigneur d’accepter ma vie et ma
mort pour son honneur et sa gloire… pour les péchés des juifs incroyants, afin
que le Seigneur soit accepté par les siens. »
Pour
Schulamit Hloni, député israélien de gauche, la béatification d’Édith Stein est
une véritable insulte : « Nous l’interprétons comme une provocation et comme
une insulte car un million d’enfants sont morts à Auschwitz et l’on prend une
femme et on la béatifie parce qu’elle était devenue catholique. C’est ironique,
pour ne pas dire plus, et c’est manifestement dégradant et humiliant pour les
juifs », a-t-il déclaré à Associated Press à Tel-Aviv. Tullia Zevi, la
présidente des communautés juives italiennes, interprète cette béatification
comme un acte de « triomphalisme chrétien » qui ne correspond pas à la
volonté du Concile Vatican II d’ouvrir un dialogue avec les juifs.
Beaucoup
d’Allemands estiment de leur côté qu’Édith Stein a été envoyée à la mort dans
le cadre de représailles exercées contre les catholiques après les critiques de
la hiérarchie. Les célèbres prédications du cardinal Clemens August von Galen à
Münster sont de 1941. Mais certains biographes de la carmélite en sont
cependant convaincus, Édith Stein est morte parce qu’elle était juive, malgré
sa conversion au catholicisme. Le cardinal Hoeffner, dans une lettre pastorale
le rappelle : « Édith Stein est morte parce que les nazis au pouvoir
voulaient se venger des évêques catholiques qui avaient publiquement pris
position en faveur des droits de tous, des juifs également ». Aussi nombre
de catholiques allemands font remarquer que c’est toute la vie d’Édith Stein
qui est béatifiée, sa piété et ses écrits, même si elle est proclamée martyre
parce que morte à Auschwitz.
Cette
polémique se double d’attaques violentes dans plusieurs journaux contre la
personne de Jean-Paul II. Der Spiegel s’en prend au style «
autoritaire et réactionnaire » de son gouvernement, à sa dévotion mariale
excessive.
Le Pape
Jean-Paul II, à partir de jeudi soir, aura exactement 100 heures pour
convaincre ses auditeurs d’outre-Rhin.
Édith Stein, fille d’Israël et de
l’Église, (La
Croix du 5 mai 1987), Par Jean Potin
Juive ou
chrétienne, il faut choisir ! La polémique qui a éclaté contre la béatification
d’Édith Stein aura eu au moins le mérite d’obliger chrétiens et juifs à
s’interroger sur les relations de leur foi respective par-delà deux mille ans
d’exclusions, de pogroms et parfois de massacres. L’Église et la Synagogue
sont-elles condamnées à se combattre ?
En
proclamant bienheureuse cette carmélite convertie du judaïsme mais conduite à
la chambre à gaz en tant que juive avec trois millions de juifs, l’Église
aurait-elle cherché à masquer sa timidité à dénoncer en son temps l’ordre nazi
d’extermination de ce peuple ? Jusqu’à la fin de l’histoire, sans doute,
l’Église devra affronter les accusations d’un antisémitisme conscient ou
inconscient.
Cependant,
les prétendues connivences de l’Église, qui sont à vérifier pour chaque cas, ne
doivent pas servir d’alibis aux autres institutions politiques ou idéologiques
pour se dispenser de s’interroger elles-mêmes sur leur antisémitisme.
Heureusement, sur ce point, Vatican II a conduit les chrétiens à un examen de
conscience sérieux.
Quoi qu’il
en soit des raisons idéologiques qui ont poussé le nazisme à transformer
l’antisémitisme de la chrétienté en décision d’extermination totale du peuple
juif, il est certain, en effet, que la Shoah, a obligé l’Église, en ce qui la
concerne, à un réexamen théologique de sa relation avec Israël.
Il n’était
pas suffisant pour elle, en effet, de battre sa coulpe devant sa part de
responsabilité dans la persécution du peuple juif : si la Shoah a été pour
celui-ci l’épreuve suprême de la foi en Dieu, pour l’Église elle a posé d’une
manière radicale la question de sa solidarité spirituelle mais aussi charnelle
avec le peuple juif, qu’elle avait la tentation d’éluder.
C’est cette
vérité fondamentale que lui a rappelée la mort d’Édith Stein, ainsi que le
soulignait Jean-Paul II dans son discours pour la béatification : « Elle
avait conscience d’appartenir au Christ, non seulement spirituellement, mais
aussi par descendance », c’est-à-dire par ses origines, osons le dire, par
sa race. La mort d’Édith Stein, carmélite mais juive, fille du peuple juif, à
Auschwitz, a révélé à l’Église qu’elle était aussi concernée par la Shoah.
Pendant un
temps, les chrétiens ont pu ne prêter aucune intention à cette vérité
essentielle parce que, aussi bien l’Église que la Synagogue ont accepté comme
normal le fossé qui s’est créé entre elles dès le début. Indice révélateur : il
allait de soi que le converti venant du judaïsme oublie ses racines religieuses
et se fonde dans la communauté où il entrait !
La
conversion d’Édith Stein présente précisément une nouveauté radicale par
rapport aux convertis des siècles précédents. Car son itinéraire, c’est
l’illumination de la foi chrétienne qui a conduit cette intellectuelle faisant
profession d’athéisme à la conscience de son appartenance au peuple juif. En
devenant fille de l’Église, elle découvre qu’elle est fille d’Israël, et que sa
mission est d’assumer cette double appartenance : dans la Bible, en effet, elle
découvre que l’Église s’enracine dans le peuple d’Israël à travers le Christ.
Il lui faut assumer, à travers sa foi au Christ, toute l’histoire de son
peuple, depuis Abraham, jusque et y compris, la Shoah.
Le destin de
cette femme, juive et chrétienne par la foi et la race, oblige les chrétiens à
considérer d’un œil nouveau leur relation au judaïsme. Il les renvoie aux
origines du christianisme quand l’Église et la Synagogue ne s’étaient pas
exclues l’une l’autre. Édith Stein est inséparablement martyre de la foi
chrétienne et victime de la Shoah. Elle est à l’image de Paul, cet homme si
fier de son appartenance au peuple d’Israël qui souhaitait être anathème,
séparé même du Christ pour ses frères, ceux de sa race. (Ro 9, 3). Dans son
excès, le cri de Paul montre combien pour lui aussi la foi au Christ continuait
à animer son amour pour son peuple.
« Viens,
allons vers notre peuple », dit à sa sœur la carmélite Édith Stein en rejoignant le
cortège des juifs partant vers les camps d’extermination. Dans cette parole, il
y a le condensé de la relation essentielle que l’Église doit exprimer à l’égard
d’Israël.
Une
fille d’Israël unie au Christ et à son peuple, (La Croix du 3 mai 1987),
Georges Mattia
Au stade de
Koln-Mungersdorf, vendredi 1er mai, à la messe de béatification d’Édith Stein,
Jean-Paul II à ouvert son homélie en citant l’Apocalypse : « Bienheureux
ceux qui sont passés par la grande épreuve, ils ont lavé leurs robes et les ont
blanchies dans le sang de l’Agneau. » (Apocalypse 7, 14.) Parmi ces hommes
et ces femmes bienheureux, le Pape a invité à saluer « avec grande
vénération et profonde joie une fille du peuple juif, pleine de sagesse et de
force. Élevée à la dure école de la tradition du Peuple d’Israël (…), elle
démontra son âme héroïque sur le chemin du camp de concentration. » Édith
Stein, « juive, philosophe, religieuse et martyre, unie au Christ crucifié,
a donné sa vie pour la vraie paix et pour le peuple ».
Jean-Paul II
a rappelé que la Conférence épiscopale allemande à l’unanimité, cultivait
depuis sept ans, avec de nombreux chrétiens, le désir de cette béatification.
Puis il a comparé Édith Stein à la reine Esther, cette grande figure de
l’Ancien Testament, qui offrit sa vie pour son peuple : « Sous l’influence
du puissant Haman, un ennemi mortel des juifs, avait été donné dans toute la
Perse l’ordre de l’extermination. Avec l’aide de Dieu et le sacrifice de sa
propre vie, Esther contribua de façon déterminante au salut de son peuple. »
Le recours d’Esther à l’aide de Dieu, voilà 2 000 ans, revient « sur les
lèvres de la servante de Dieu Édith Stein, une fille d’Israël de notre siècle.
Il redevient d’actualité car ici, au cœur de l’Europe, fut à nouveau conçu un
plan d’anéantissement des juifs », décrété par une folle idéologie raciste.
Dans les
camps de concentration et les fours crématoires, « plusieurs millions de
fils et filles d’Israël, des enfants aux vieillards, trouvèrent la mort par ce
destin épouvantable, a rappelé le Pape. La gigantesque machine du
pouvoir de l’État totalitaire n’a épargné personne et a aussi perpétré de
cruelles rétorsions sur ceux qui eurent le courage de défendre les juifs ».
Après sa
fuite en Hollande, Édith Stein fut arrêtée et mourut à Auschwitz « comme
fille de son peuple martyrisé ». Quand les évêques de Hollande, dans une
lettre pastorale, protestèrent contre les déportations des juifs, le pouvoir
nazi se vengea en déportant aussi des juifs de foi catholique. Le Pape a alors
cité les mots héroïques d’Édith Stein, à sa sœur Rosa, en quittant le monastère
d’Echt : « Viens, allons vers notre peuple. » Elle trouvait ainsi «
une voie
pour offrir à son peuple un dernier service ». Le Pape a aussi lu
cet extrait d’une lettre d’Édith Stein : « Le Seigneur a pris ma vie à
l’avantage de tous les juifs. Je dois toujours penser davantage à la reine
Esther qui fut enlevée à son peuple. Je suis une petite Esther, très pauvre et
très faible, mais le roi qui m’a choisie est grand et infiniment
miséricordieux. »
« Dans le
camp d’extermination, elle est morte comme fille d’Israël (...) et dans le même
temps, comme Sœur Teresa Benedetta della Croce, de la Sainte-Croix »
Se référant
à l’Épître de saint Paul aux Galates (Ga 6,14), Jean-Paul II a, expliqué
qu’Édith Stein a rencontré, sur le chemin de sa vie, ce mystère de la croix du
Christ annoncé aux chrétiens par l’Apôtre : « Dans le camp d’extermination,
elle est morte comme fille d’Israël », glorifiant le nom de Dieu, « et
dans le même temps, comme Sœur Teresa Benedetta della Croce, de la
Sainte-Croix. Sa vie tout entière a été caractérisée par une inlassable
recherche de la vérité et illuminée par la grâce de la croix du Christ ».
Elle rencontra la veuve d’un ami d’étude que la foi aidait à dominer son deuil.
Cet épisode
fut la première rencontre d’Édith Stein avec la force divine. La vie d’Édith
Stein et son itinéraire de croix, a continué le Pape, sont « intimement liés
au destin du peuple juif ». L’une de ces prières dit que c’est la croix du
Christ qui se trouvait alors posée sur les épaules du peuple juif. Pour Édith
Stein, selon ses propres mots, tous ceux qui ont compris cela « devraient
être prêts à prendre la croix sur leurs propres épaules au nom de tous. Je
voulais le faire. Dieu devait seulement m’indiquer de quelle façon ».
Retraçant la
trajectoire de la bienheureuse, Jean-Paul II a relevé : « Teresa, la bénie
de la Croix, tel est le nom d’une femme qui a débuté son chemin spirituel avec
la conviction que n’existe absolument aucun Dieu. » Née dans une famille
d’antique tradition historique et, malgré la foi robuste de sa mère, Édith
Stein décide à l’âge de 15 ans de ne plus prier. Étudiante, elle rejette
l’existence d’un Dieu personnel : « Dieu n’occupe plus aucune place dans sa
vie, a commenté le Pape, elle professe toutefois un idéalisme éthique très
élevé (…) n’accepte rien
qui ne fut prouvé, pas même la foi de ses Pères. Elle
veut aller d’elle-même à la racine des choses. »
Édith Stein
affirmait : « Ma recherche de vérité a été une véritable et réelle prière ».
Sous l’influence de son professeur Husserl, elle s’oriente vers la philosophie,
découvre Max Scheler qui l’initie aux idées catholiques. Mais sa longue lutte
pour une adhésion personnelle à la foi en Jésus-Christ s’achève seulement en
1921, quand elle ouvre une autobiographie de sainte Thérèse d’Avila.
« Quand
je fermais le livre, écrit-elle, je me dis à moi-même : ceci est la vérité ! » Par cette lecture, a dit
le Pape, Édith Stein découvrit la vérité, non la vérité de la philosophie, mais
celle d’une personne, le Dieu vivant : « Édith Stein avait cherché la vérité
et avait trouvé Dieu. »
Par
ailleurs, recevoir le baptême ne signifia nullement pour Édith Stein une
rupture avec le peuple juif, a expliqué le Pape. Au contraire, elle affirma : «
Quand j’étais une enfant de 14 ans, je cessais de prier la religion hébraïque
et, première chose après mon retour à Dieu, je me sentis juive ». Elle
avait conscience d’appartenir au Christ, non seulement spirituellement, mais
aussi par descendance.
« Elle
souffrit beaucoup de la grande douleur que sa conversion devait procurer à sa
mère. Elle continua de l’accompagner à la synagogue et y récitait avec elle les
psaumes ».
Dans les dix années suivantes, Édith Stein enseigne, étudie saint Thomas
d’Aquin, cherchant à concilier la science et la foi. En 1933, elle entre au
carmel de Cologne, non pour fuir le monde ou ses propres responsabilités, a
insisté le Pape, mais pour mieux suivre la passion du Christ : « Mon unique
but, dira-t-elle, sera désormais d’aimer davantage ».
« Avec
toute l’Église, a
dit le Pape, nous nous inclinons devant cette grande femme, que nous pouvons
désormais appeler bienheureuse (…) Nous nous inclinons devant cette grande
fille d’Israël qui, dans le Christ rédempteur, a découvert la plénitude de la
foi et sa mission envers le Peuple de Dieu. Selon la conviction d’Édith Stein, a
repris le Pape, qui entre au carmel n’est pas perdu par les siens mais est,
en effet, à plus forte raison, retrouvé. Car notre but est précisément celui
d’être devant Dieu pour tous. » Édith Stein s’est offerte à Dieu comme «
sacrifice expiatoire pour la vraie paix et surtout pour son peuple hébreu
menacé et humilié ».
Le dernier
livre d’Édith Stein, inachevé, s’intitule la Science de la croix, à
savoir une vérité, vive, vraie, efficace.
Concluant
l’homélie, Jean-Paul II a indiqué en Édith Stein un « exemple héroïque de la
façon de suivre le Christ ». Il s’agit de s’ouvrir au « message de cette
femme d’esprit et de science. Dans la science de la croix, elle a connu le
sommet de toute sagesse ».
Puis il a
invité à méditer sur les « terribles conséquences que peuvent toujours
provoquer la négation de Dieu et la haine raciale collective ».
Au
terme de cette très émouvante célébration, Jean-Paul II a rencontré le Conseil
central des juifs. Il a rappelé que l’Église vénérait en Édith Stein « une
fille d’Israël, qui est restée unie comme catholique à Jésus-Christ crucifié
Notre-Seigneur, et comme juive à son peuple avec fidélité et amour, durant les
persécutions du national-socialisme ».
Relique de l’habit de Ste Edith Stein dans la cathédrale de Spire
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