Pour
Philippe Lefebvre, dominicain, bibliste, et professeur à l’université de
Fribourg (Suisse), le personnage de saint Joseph – que nous fêtons ce 19 mars –
ne peut se comprendre qu'à la lumière de l'Ancien Testament. C'est ce qu'il
développe dans l'ouvrage Joseph, l'éloquence d'un taciturne (Salvator,
2012).
Que nous disent les Evangiles sur Joseph ?
À
vrai dire, pas grand chose. On ne trouvera pas dans le Nouveau Testament une
enquête journalistique sur Joseph qui nous rapporterait ses actes et ses
paroles et détaillerait les traits de son caractère. Mais la façon qu'ont les
évangélistes de le mettre en scène évoque des situations de l'Ancien Testament.
Il est l'héritier d'un ensemble d'hommes qui ont vécu avec Dieu ou avec leur
entourage des situations analogues. On peut parler ici d'une biographie
biblique.
Quels liens, justement, peut-on faire entre les personnages de
Joseph et des figures de l'Ancien Testament ?
Les
exemples d'analogie sont nombreux. Joseph découvre que Marie est enceinte, il
s'endort et dans son sommeil, Dieu le visite sous la forme d'un ange et lui dit
: « Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton
épouse, puisque l’enfant qui est engendré en elle vient de l’Esprit Saint »
(Mt. 1, 20). Quand il se réveille, il prend effectivement Marie chez
lui.
Il
y a là une reprise de la scène inaugurale de la Bible. Après avoir été créé par
Dieu, Adam s'endort et se réveille avec une femme créée pour lui. En Joseph
nous retrouvons donc la figure d'Adam. De même l'épisode de la fuite en Égypte
(Mt. 2, 13) rappelle la fuite à Madiane puis le retour en Égypte de
Moïse (Ex. 2, 4). Joseph est en cela le nouveau Moïse. On pourrait ainsi
citer beaucoup d'autres rapprochements.
Dans votre ouvrage, vous insistez sur le fait que Joseph est non
seulement un père, mais aussi un fils...
Bien
sûr, Joseph est le père de Jésus. C'est lui qui l'a éduqué. Mais en même temps,
il est fils de Dieu et en témoigne. Il est celui qui écoute ce que Dieu lui
dit, qui agit en conséquence et qui se met en marche à sa suite. Dans la Bible,
c'est ce que signifie être fils : celui qui marche au pas de Dieu. S'il est
père, au sens de la paternité dans l'Ancien Testament, c'est finalement parce
qu'il enseigne à son Fils comment être fils devant Dieu.
Quel est le rapport de Joseph à Jésus, justement ?
Sur
beaucoup d'aspect, Joseph est le précurseur de Jésus, il lui prépare le
terrain. Dans l’Évangile de Matthieu, par exemple, Joseph est le premier
personnage que découvre le lecteur. Matthieu étant placé au tout début du
Nouveau Testament, c'est donc Joseph qui fait le lien entre l'Ancien et le
Nouveau Testament, qui nous fait passer de l'un à l'autre. Ce n'est pas rien !
En cela, il précède Jésus qui vient accomplir les promesses de l'Ancien
Testament. En épousant Marie, il est aussi précurseur d'un Christ Époux, thème
très souvent abordé dans les Évangiles, tout comme celui de la noce.
Nous
avons vu que Joseph se plaçait aussi comme fils de Dieu. On peut donc dire que
c'est le frère de Jésus. Même si cela n'écrase pas les générations, il arrive
très souvent dans l'Ancien Testament que les fils rejoignent leur père dans une
forme de fraternité devant Dieu. Je pense à Abraham circoncis en même temps que
son fils Ismaël. Par ce rite, père et fils entrent en même temps dans
l'alliance filiale avec Dieu. De même Zacharie est muet pendant toute la
grossesse d’Élisabeth. Ce n'est qu'au moment où son fils, Jean-Baptiste, naît
et pousse son premier cri que Zacharie retrouve la voix. Père et fils se
rejoignent devant Dieu.
Joseph est le père de Jésus mais n'en est pas le géniteur...
Joseph,
comme fils de David, appartient à la tribu de Juda. Or cette tribu est
confrontée très souvent à des problèmes de paternité. Juda lui-même a trois
fils. L'un meurt, l'autre ne veut pas d'enfant et le troisième est trop jeune,
si bien qu'il finit par avoir un enfant avec la veuve de son fils pour
perpétuer la lignée. David, entre autres aventures, a un enfant avec Bethsabée
et essaye de faire passer celui-ci pour le fils d'Uri, le mari de Bethsabée.
Aujourd'hui on dirait que Joseph s'inscrit dans une famille blessée. Dans cette
lignée, c'est celui qui se comporte le plus comme un père ! La conséquence est
que dans cette tribu choisie pour accueillir Jésus on ressent vraiment que Dieu
est le premier père et qu'il vient guérir une paternité blessée.
Alors que la dévotion à Saint Joseph semble trouver un nouvel
élan, quels enseignements les hommes d'aujourd'hui peuvent-ils trouver dans sa
vie ?
Attention
à ne pas faire de Joseph un super-père sur lequel on projette ses propres
désirs, une sorte de porte-parole d'une paternité rêvée. De fait, il ne nous
apprend rien d'un point de vue de la technique d'éducation. Nous n'en saurons
pas plus sur la manière dont il passait ses week-end avec Marie et Jésus.
Je
pense que nous avons plutôt à apprendre de Joseph ce désir de marcher avec
Dieu. Il accepte de le suivre alors que la situation est compliquée. Il faut se
rendre compte de ce que signifie, à l'époque prendre Marie chez lui alors
qu'elle est déjà enceinte ! Il découvre alors un Dieu présent dans
l'inattendu.
Joseph nous enseigne aussi que c'est dans la relation avec Marie
qu'il comprend le plan de Dieu. Dans cette rencontre quelque chose de Dieu se
dit et apparaît. Au début du Nouveau Testament, Joseph et Marie sont donc là
pour témoigner d'une manière d'être ensemble et d'être avec Dieu qui nous
concerne et sur laquelle nous pouvons prendre exemple.
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