Selon ta parole.
La prédication de
Jean-Marie Lustiger,
de Jean-Baptiste Arnaud,
(Parole et Silence,
coll. « Collège des Bernardins » 27, 2016, 624 p., 32 €)
Recension de David Roure, la-croix.com
Fruit d’un travail de thèse, ce livre aborde la prédication du cardinal
Lustiger comme « lieu d’étude théologique »
Archevêque de Paris durant presque un quart de siècle (1981-2005), le
cardinal Lustiger a profondément marqué l’Église catholique qui est en France
pendant cette période. Pourtant, assez bizarrement, assez peu d’études
consistantes sont parues sur lui, en particulier depuis son décès, en 2007.
Pour cette raison, il faut donc commencer à être reconnaissant envers le P.
Arnaud, prêtre du diocèse de Paris presque quarantenaire, d’avoir effectué ce
beau travail, reprenant sa thèse de doctorat en théologie soutenue en 2015.
De manière originale et fort instructive en fait, il considère « la
prédication du cardinal comme lieu d’étude théologique ». De fait, il a
analysé de manière assez complète la plupart de ses homélies prononcées entre
1981 et 1990. Parfois, il sort de ce strict cadre chronologique, il s’intéresse
aussi à des interviews, des conférences, des entretiens de l’archevêque à ses
prêtres. Tout cela pour dire que, avec et au-delà de la seule prédication, ce
sont toutes les principales intuitions théologiques de Jean-Marie Lustiger qui
sont ressaisies ici, même si le lecteur eût peut-être préféré à cette somme
imposante mais touffue un volume plus resserré, plus synthétique aussi.
« Prière et dialogue avec Dieu »
Notre auteur, actuel responsable du parcours EVEN, sait bien montrer
pour commencer à quel point les homélies de Lustiger étaient autant centrées
sur le Christ qu’enracinées dans l’Écriture ; cela était évident pour ses
auditeurs qui le voyaient chaque dimanche (en général, le matin en paroisse, le
soir à Notre-Dame) prêcher debout devant l’autel avec, à la main, non le
lectionnaire mais un Évangile en grec traduit par Sœur Jeanne d’Arc !
Pour lui, la prédication était d’abord écoute de la Parole de Dieu, à
commencer par le prêtre lui-même, « prière et dialogue avec Dieu ». La
compréhension apparaît alors comme un « processus d’enfantement : celui qui
comprend est enfanté, pour enfanter d’autres à cette compréhension ». En
même temps, l’homélie apparaît toujours comme « une parole et un acte
habités par l’Esprit » et elle contribue fortement à l’édification de
l’Église, c’est donc, au bout du compte, « un acte spirituel, sacramentel et
ecclésial », toujours inséré dans un temps liturgique donné.
Contradiction, question, Passion,
mission
Le P. Arnaud s’efforce aussi de montrer que les homélies du cardinal
étaient toujours plus ou moins construites sur la même trame, avec « quatre
étapes constitutives : contradiction, question, Passion, mission ». Chaque
fois, en tout cas, « l’écoute est un chemin qui commence par l’interrogation
et se poursuit par la réflexion ».
En début d’ouvrage, notre auteur énumère les principaux théologiens qui
ont pu influencer son modèle : Bouyer, Daniélou et Marrou, d’abord, de Lubac,
Gaston Fessard, Balthasar, ensuite, Thomas Kowalski et Albert Chapelle, enfin.
Sa troisième et dernière partie insiste à juste titre sur le fait que,
très souvent, Jean-Marie Lustiger ne s’adressait pas qu’à des catholiques dans
ses homélies. Alors, d’un côté, sa parole était toujours missionnaire, se
voulant témoin de l’Évangile, et, d’un autre côté, il prenait toujours en
compte son public et le contexte où il se trouvait. Quand il s’adressait à des
politiques, responsables de la cité, ce qui arrivait relativement souvent, il
voulait « manifeste(r ) le sens spirituel de l’histoire » et, ceci étant
peut-être du à son histoire personnelle, il «médit(ait) l’histoire comme un
drame », marqué par la Passion mais aussi dans l’attente de la
Résurrection. Pour lui, l’histoire des hommes était toujours éminemment
spirituelle, ce qui a pu séduire certains de ses contemporains mais en irriter
d’autres.
La conscience du salut déjà donné
« La prédication de Jean-Marie Lustiger, peut alors affirmer à
juste titre Jean-Baptiste Arnaud, s’inscrit ainsi dans la conscience du
salut déjà donné, caché dans l’histoire, en laquelle il s’accomplit » et « ses
homélies témoignent de ‘l’attente du Royaume, qui est ‘remise de soi à plus
grand que soi’ et ‘patience de Dieu dans l’histoire’ ». Il n’hésite pas
alors à parler de la « vocation spirituelle » de la France, mais aussi
de la Pologne, du Portugal ou même de l’Europe tout entière. Cette « prédication
de l’archevêque de Paris, irréductible à tout discours politique ou social, ou
à toute leçon d’histoire » est caractéristique de sa manière d’envisager
l’histoire des hommes, toujours surplombée par la présence d’un Dieu parfois
caché mais toujours présent.
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