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lundi 16 octobre 2017


Que peut bien nous apporter une carmélite espagnole du XVIe siècle ?
Ce qu’il y a de formidable avec Thérèse d’Avila que nous fêtons ce 15 octobre, c’est sa capacité à rejoindre tout un chacun. Que l’on soit cadre ou artiste, prêtre ou étudiant, chercheur de Dieu ou "grenouille de bénitier", elle fait mouche à chaque fois.
Chez Thérèse d’Avila, exigence et bienveillance vont de pair, caractère intrépide et grande douceur font bon ménage, mystique et rationalité sont jumelles. Thérèse est une battante. Enfant, elle veut se faire martyre. Religieuse, elle combat le démon. Réformatrice du carmel, elle pourfend la tiédeur, en commençant par la sienne. Et par ses écrits, elle nous interpelle encore aujourd’hui. Voici un florilège de petites phrases et aphorismes de la grande Thérèse, toutes issues de son chemin de la perfection.
En 1566, Thérèse écrit à ses sœurs du couvent de Saint-Joseph à Avila, fondé par ses soins quelques temps auparavant. Durant quelques années, cette règle a été recopieé manuellement par des sœurs. Ce texte n’a été publié qu’à sa mort. Le plus grand nombre eut alors l’occasion de découvrir la richesse de ses conseils. Et cela dure depuis quatre siècles.

QUELLES SONT LES ÉTAPES DE LA VIE MYSTIQUE SELON THÉRÈSE D'AVILA ?
Pour que nous nous ouvrions à sa présence qui nous habite et veut nous révéler notre vrai désir – aimer – Dieu nous conduit à travers l’expérience de sept traversées successives où il nous rend progressivement plus libres pour aimer et communier à son désir de sauver tous les hommes.
ARGUMENTS AND DETAILS
      ARGUMENT 1. Au terme de son parcours spirituel, Thérèse d’Avila écrit le Livre des demeures où elle compare notre âme - où habite Dieu - à un château. Les premières demeures correspondent à l’entrée dans la vie spirituelle et elles sont le fondement de tout ce qui va suivre. Elle s’appuie particulièrement sur quatre citations bibliques : « Dans la maison de mon Père, il y a de nombreuses demeures » (Jean 14,2), qui évoquent selon elle ce « château intérieur ». « Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole ; mon père l’aimera, nous viendrons vers lui et, chez lui, nous nous ferons une demeure » (Jean 14,23) qui est comme un résumé de l’itinéraire spirituel qu’elle décrit. « Dieu trouve ses délices parmi les enfants des hommes » (Proverbes 8,31), qui montre que nous sommes le paradis de Dieu. Et « Faisons l’homme à notre image, comme à notre ressemblance » (Genèse 1,26) qui est l’attestation que nous sommes créés pour aimer comme Dieu aime, puisque Dieu est amour. La volonté de Dieu est de nous donner d’aimer comme il aime. DETAILS Au terme de son parcours spirituel, Thérèse d’Avila compare notre âme – où Dieu demeure - à un château Le fondement c’est de s’accueillir comme le lieu de la présence de Dieu. Thérèse écrit son livre Le Château intérieur en 1577 après avoir connu le « mariage spirituel » en 1572.
      Elle décrit avec précision chacune des étapes de la croissance de la vie spirituelle en détaillant davantage les dernières étapes qui correspondent à des  réalités moins claires pour ses lectrices (ses propres sœurs carmélites). Elle écrit tout cela après être arrivée à sa pleine maturité spirituelle et avoir reçu la grâce de traverser toutes les demeures.
Les premières demeures sont l’entrée dans la vie spirituelle et le fondement de tout ce qui va suivre
Ce sont les fondations : les premières demeures jalonnent un parcours où s’approfondit cette conscience quotidienne de ce que nous sommes, de notre dignité, de notre gloire qui est d’être la demeure d’un autre : la demeure de Dieu.
      Le porche d’entrée de la vie spirituelle c’est donc de commencer à s’accueillir soi-même comme l’œuvre de Dieu, comme la demeure de Dieu et elle fonde tout l’itinéraire spirituel dont elle va parler sur quatre citations bibliques.
« Dans la maison de mon Père, il y a de nombreuses demeures » (Jean 14,2)
Thérèse utilise cette citation biblique assez connue : « Dans la maison de mon Père, il y a de nombreuses demeures ». On pourrait comprendre que nous allons vers les nombreuses demeures du ciel, mais pour Thérèse ces nombreuses demeures sont en chacun. Les demeures de la maison du Père sont en chaque personne.
« Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole ; mon père l’aimera, nous viendrons vers lui et, chez lui, nous nous ferons une demeure » (Jean 14,23)
La deuxième citation biblique est : « Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole ; mon père l’aimera, nous viendrons vers lui et, chez lui, nous nous ferons une demeure » (Jean 14,23). Elle résume d’une certaine manière l’itinéraire spirituel que nous allons décrire, qui commence par une décision, une progression et une action de Dieu qui se manifeste et s’unit à l’âme.
« Dieu trouve ses délices parmi les enfants des hommes » (Proverbes 8,31)
Les deux autres citations viennent de l’Ancien Testament. Celle du Livre des Proverbes (8,31) : « Dieu trouve ses délices parmi les enfants des hommes » dit que le paradis de Dieu, c’est l’homme et que c’est la personne humaine. Nous n’allons pas au paradis : nous sommes le paradis de Dieu. C’est une inversion totale. On ne va pas au paradis : c’est Dieu qui fait de notre personne, de la relation avec nous, son paradis. Donc le paradis pour Dieu, c’est une relation vivante.
« Faisons l’homme à notre image, comme à notre ressemblance » (Genèse 1,26)
Thérèse voit que si Dieu nous créa « à son image et à sa ressemblance », c’est justement pour que nous trouvions notre joie à l’accueillir en nous. Thérèse s’émerveille devant cette affirmation : voilà le signe que nous sommes faits pour l’amour et pour un amour aussi grand que celui de Dieu.

      ARGUMENT 2Les premières demeures sont le porche de l’entrée dans la vie spirituelle. On le franchit en se décidant à chercher Dieu en nous, à s’appuyer sur lui, car la pire des misères pour sainte Thérèse d’Avila, c’est de vivre sans Dieu ou même d’imaginer que l’on peut faire le bien sans Dieu. Les quatre fruits des premières demeures, qui vont mûrir tout au long de notre chemin spirituel sont la liberté, l’humilité, le détachement et surtout la charité qui en est aussi le terme et l’accomplissement. Les deuxième, troisième et quatrième demeures vont permettre d’approfondir la vie spirituelle comprise comme un chemin vers Dieu, une quête de Dieu comprise comme une participation progressive à la vie divine. Ce don est gratuit, mais nous devons nous déterminer à l’accueillir, à faire de cet accueil le centre de notre vie et donc à nous purifier de ce qui prend en nous la place de Dieu. C’est Dieu qui nous fait passer d’une demeure à l’autre, quand il le veut et comme il le veut. DETAILS Les premières demeures sont le porche de l’entrée dans la vie spirituelle C’est un choix, une décision de commencer la vie spirituelle. C’est très positif, mais ce n’est pas forcément facile à vivre. Il faut décider d’entrer dans une perception renouvelée de nous-mêmes et croire que nous sommes la demeure de Dieu.
      L’entrée dans ces premières demeures est essentielle, car il y a évidemment le risque inverse. Si on s’oppose et que l’on refuse de s’engager, de croire à cette gloire de l’homme, à cette grandeur de l’homme, à cette beauté que nous avons, à cette présence de Dieu en nous, alors on se trouve dans une misère terrible. L’homme oublie alors ce qu’il est et vit à l’extérieur de ce qu’il est en réalité, à l’extérieur de cette présence d’un Dieu qui veut nous ouvrir au don qu’il veut nous faire.
La pire des misères chez sainte Thérèse d’Avila, c’est de vivre sans Dieu ou d’imaginer que l’on fait le bien sans Dieu 
Faire le bien sans Dieu, comme elle dit, c’est faire plaisir au démon. Paradoxalement le péché le plus grave pour elle, ce n’est pas tellement d’avoir des faiblesses, des limites. Elle ne les encourage pas bien sûr, elle nous invite aussi à nous engager pour combattre les faiblesses de la vie quotidienne et nous corriger avec la grâce de Dieu, mais le pire pour elle c’est de ne pas reconnaître le bien, le bon et le beau en nous et chez les autres comme une réalité qui a sa source en Dieu. On pourrait dire, bien qu’elle ne le dise pas explicitement - mais à bien la lire c’est ce que l’on comprend - que le péché mortel, c’est de vivre sans Dieu, de faire le bien sans Dieu.
Les quatre fruits des premières demeures vont mûrir tout au long de notre chemin spirituel
Les fruits de cette entrée dans le Château, de cette mise en relation avec Dieu en sa  présence dans notre vie quotidienne, on les trouve décrits au deuxième chapitre des premières demeures. Il y en a quatre. Thérèse les décrit dès le départ : ces fruits vont mûrir tout au long du chemin à travers les sept demeures du château.
1°/ - La liberté 
L’exercice le plus haut de notre liberté, c’est justement d’accueillir cette présence de Dieu, de reconnaître ce que nous sommes, c'est-à-dire créés « à son image ». La prière sous toutes ses formes est un engagement de la liberté, puisque pour Thérèse la prière consiste à se tourner vers Dieu, à cultiver notre relation avec Dieu. Il faut la vivre évidemment dans différents lieux et de différentes manières dans notre quotidien. Thérèse insiste videmment beaucoup sur la prière silencieuse dont un des fruits consiste à recevoir notre vie comme le lieu concret où nous devons vivre notre relation à Dieu.
2°/ - L’humilité 
L’humilité, ce n’est pas l’humiliation : c’est la reconnaissance que nous sommes les bénéficiaires du don de Dieu en permanence et pour tout et pas seulement ce qui concerne le spirituel. Nous sommes créés, nous recevons énormément de choses tout au long de notre journée, aussi bien l’alimentation que les relations avec les autres, ce que l’on a pu apprendre, nos compétences, les réalités naturelles, culturelles, spirituelles, etc. L’humilité c’est avant tout la reconnaissance de fond que notre existence est un don de Dieu. L’image, le modèle de la personne profondément humble, c’est évidemment Jésus qui accueille toute sa vie comme un don de son Père.
3°/ - Le détachement 
Le détachement ne veut pas dire que l’on vit sans rien. Cela veut dire que l’on modifie notre relation aux choses et aux personnes qui peuvent souvent être d’une certaine manière parfois captatrices ou dominatrices. Le détachement fait passer à une plus grande liberté dans la relation aux choses et aux autres mais aussi à tous les biens intellectuels, spirituels et même aux vertus morales. Le détachement  est lié à l’humilité : on se situe moins comme un propriétaire et on a beaucoup moins besoin d’un rapport possessif aux réalités. Tout cela va s’approfondir durant tout le parcours.
4°/ - La charité 
C’est à la fois le but final et le chemin essentiel. Il s’agit de laisser Dieu nous apprendre à aimer. Et l’amour a deux directions qui sont unies : l’amour de Dieu et l’amour des autres.
Les deuxièmes, troisièmes et quatrièmes demeures vont permettre d’approfondir la vie spirituelle comprise comme un chemin vers Dieu 
Car, à partir des cinquièmes demeures, il y a comme un renversement qui se fait et l’on perçoit sa vie comme la vie de Dieu en nous. Dieu fait alors vivre l’expérience que saint Paul décrit en ces termes : « Ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi ». Une conscience nouvelle de la relation à Dieu nous habite.
      Sur ce chemin, les deuxièmes troisièmes et quatrièmes demeures sont le lieu de transformation de nos relations. Dans les deuxièmes demeures, la relation au monde. Dans les troisièmes, la relation à soi-même. Dans les quatrièmes, la relation à Dieu. On va ainsi de ce qui est le plus extérieur, le monde, à ce qui est le plus intérieur en nous : Dieu.
C’est Dieu qui nous fait passer d’une demeure à l’autre, quand il le veut et comme il le veut
Précision importante : passer d’une demeure à l’autre est toujours une aventure, un cheminement, mais ce n’est pas nous qui choisissons le passage d’une demeure à l’autre d’une manière stable sur notre agenda spirituel. C’est Dieu qui nous découvre une profondeur plus grande, quand il veut, comme il le veut.
Le Seigneur permet aussi souvent que l’on ait des avant-goûts des demeures supérieures
Deuxième précision importante ; avant d’entrer dans la description des thématiques des demeures : on peut recevoir des effets spirituels des demeures plus profondes en vivant de manière stable dans une demeure moins profonde. On peut tout à fait avoir des avant-goûts de ce qui nous habite déjà , car, dès le départ, les sept demeures sont en nous, puisque Dieu est en nous. Dieu peut donc nous donner des goûts, des expériences des quatrièmes et des cinquièmes demeures, alors que nous sommes toujours dans les deuxièmes  ou troisièmes. Mais ce n’est pas la même chose d’expérimenter ces avant-goûts et de vivre de manière stable dans une demeure. Le passage d’une demeure à l’autre est toujours un moment essentiel qu’il nous est donné de discerner plus ou moins rapidement.

      ARGUMENT 3Les deuxièmes demeures concernent la purification de notre relation au monde. L’arme à utiliser pour y parvenir, c’est de croire au Christ et de se confier à lui qui va nous libérer (cf. Galates 5,1). DETAILS Les deuxièmes demeures concernent la purification de notre relation au monde Dans les deuxièmes demeures, on s’engage sur ce chemin de la vie spirituelle qui va forcément révéler en nous plein d’attachements, plein de compromis, plein de faiblesses. On s’attendait à recevoir plein de consolations et en fait on se rend compte que nous sommes un champ de bataille.
      On pourrait faire un parallèle entre le livre des demeures et le livre de l’Exode : les Hébreux sortent d’Égypte et ils s’attendent à entrer en Terre Sainte tout de suite. Ils se retrouvent dans un désert. Ils se retrouvent confrontés à leurs difficultés et doivent choisir de faire confiance à Dieu. C’est bien ce qui se passe dans ces deuxièmes demeures. Comme les Hébreux conduits par Moïse, nous pouvons regretter parfois notre ancien esclavage sans pouvoir ni vouloir vraiment y revenir, car maintenant nous sommes conscients de l’esclavage passé. Avant, nous étions un esclave inconscient mais maintenant nous sommes devenus un esclave conscient. Il reste que nous sommes tiraillés : on est comme entre deux chaises. Un combat nous habite.
L’arme à utiliser, c’est de croire au Christ et de se confier à lui avec persévérance : c’est lui va nous libérer (cf. Galates 5,1) 
Ce qui va pouvoir nous aider à avancer, c’est le Christ qui dans son humanité a assumé tout cela. Il a assumé toute la réalité humaine et donc l’arme à utiliser, c’est de croire à la force, à la puissance du mystère pascal du Christ, de sa croix. La croix du Christ nous rend libre. « C’est pour la liberté que le Christ nous a libérés » dit saint Paul dans l’épître aux Galates (Galates 5,1). Même si on a des épreuves, même si ce n’est pas forcément facile, il faut consentir dans la prière à la sécheresse, à des difficultés. Moïse qui s’adresse aux Hébreux dans cette situation leur dit : « Tenez ferme, le Seigneur combattra pour vous, vous, vous n’aurez qu’à rester tranquilles. », alors qu’en fait on a envie de tout sauf de rester tranquille ! Le combat, c’est croire que nous ne combattons pas seuls et que c’est surtout le combat du Christ en nous et qu’il faut se confier à lui, parce que lui seul peut être vainqueur de ce combat. Ce qui dépend de nous, c’est de nous orienter vers lui le plus souvent possible et de choisir de lui faire confiance.

      ARGUMENT 4Les troisièmes demeures concernent la clarification du rapport à soi-même. On court le risque d’être comme ce jeune homme riche qui a bien commencé mais qui s’en va finalement tout triste. L’enjeu de ces troisièmes demeures, est de se reconnaître comme un « serviteur quelconque » qui reçoit tout de Dieu. DETAILS Les troisièmes demeures concernent la clarification du rapport à soi-même Nous avons souvent une image de nous-même et surtout un rapport à ce que nous faisons qui ne sont pas justes. Le Seigneur nous a fait entrer dans les troisièmes demeures. Il y a donc déjà des premiers fruits positifs : nous avons commencé à mettre notre foi en Dieu, nous l’avons fait de manière persévérante, tout en expérimentant nos fragilités et cela a déjà produit des fruits dans notre existence, même si évidemment tout est loin d’être accompli. On risque de se comporter comme le jeune homme riche : on commence à bien faire, on fait des efforts, mais on risque de ne pas supporter de ne pas se voir reconnu, aussi bien extérieurement qu’intérieurement notamment dans la prière (on a du mal à accepter les sécheresses, les tentations, les distractions).
On court le risque d’être comme ce jeune homme riche qui a bien commencé, mais qui s’en va finalement tout triste 
De la même manière, on attendait que les fruits que le Christ a portés en nous avec notre active collaboration nous permettent de recevoir des récompenses de Dieu au niveau spirituel, on voudrait que  Dieu nous distribue des consolations, mais les choses se passent différemment et le problème c’est que l’on en vient à se plaindre. On se plaint de soi, parce que l’on voudrait être saint en quinze jours, on ressent comme des injustices les difficultés et on imagine que c’est vraiment par nos mérites que nous servons le Seigneur, que nous prions. C’est subtil, parce que si l’on s’est attribué à soi-même les premiers résultats, on s’étonne que cela ne se continue pas toujours ainsi.
L’enjeu de ces troisièmes demeures : se reconnaître comme un « serviteur quelconque » qui reçoit tout de Dieu
Le texte de l’évangile est évoqué dans ces troisièmes demeures : il faut reconnaître que nous sommes « des serviteurs quelconques » (Luc 17,7-10) et que tout ce que le Seigneur a déjà fait en nous est une grande grâce qu’il nous a faite. Ce n’est sûrement pas un mérite de notre part pour lequel nous pourrions être payés de retour. Sans parler, bien sûr, du risque de comparaison avec les autres, que l’on risque de regarder de haut en leur disant ce qu’ils devraient faire. Bref, on risque de s’ériger comme juges insatisfaits. Ces troisièmes demeures, qui mettent en lumière des travers assez classiques chez les chrétiens, voire même aussi chez les religieux, c’est de sortir de l’orgueil spirituel et d’un rapport mal situé à soi-même et aux autres, le contraire du serviteur humble et quelconque qui reconnaît recevoir tout de Dieu et qui vit pour lui rendre grâce. Il s’agit notamment de recevoir ce qu’il nous donne de faire à son service comme un don. Car ce que nous faisons à son service, c’est lui qui nous donne de le faire. Et, bien souvent, le Seigneur récompense ses bons serviteurs en leur donnant de servir davantage ou plus profondément, qualitativement.

      ARGUMENT 5. Les quatrièmes demeures concernent l’approfondissement de notre rapport à Dieu. Une grande paix s’instaure progressivement dans les profondeurs de l’âme. La confiance, l’humilité et la reconnaissance sont des réalités qui sont vécues de plus en plus profondément. DETAILS Les quatrièmes demeures concernent l’approfondissement de notre rapport à Dieu Elles s’appuient sur les beaux fruits que l’on récolte dans des troisièmes demeures, c'est-à-dire le fait que nous nous considérons bien davantage comme un serviteur de l’amour. Aimer pour aimer, voilà la seule vraie récompense. Nous acceptons désormais les aridités dans la prière, nous considérons que nos vertus ne sont pas les nôtres, que l’on est peut-être vertueux en effet, réellement vertueux, mais que c’est vraiment Dieu qui est la source de nos vertus et donc nous sommes devenus beaucoup plus libres par rapport à nous-mêmes et par rapport aux grâces de prière reçues dans la vie de prière. Le fruit en est une plus grande dilatation du cœur. On est en eaux plus profondes, mis au large.
Une grande paix s’instaure progressivement dans les profondeurs de l’âme
Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de vagues au-dessus, mais s’établit de manière assez constante une paix profonde en présence de Dieu. On est vraiment certain que ce ne sont pas nos propres efforts qui apportent cette paix, il n’y a pas de techniques de prière ou de concentration qui ferait que l’on arriverait à obtenir ces grâces. S’approfondit une attitude de pauvreté spirituelle, on reconnaît que Dieu donne tout et notre regard vers lui est bien établi, bien profond. Cela instaure un état assez permanent de reconnaissance et l’état de grâce envers Dieu à partir de tout. Notre esprit et nos pensées peuvent parfois s’évader, mais assez vite on retourne à cette attitude reconnaissante et humble.
La confiance, l’humilité et la reconnaissance sont des réalités qui sont vécues de plus en plus profondément. 
On a fait l’expérience de la bonté libératrice de Dieu, là s’approfondit l’accueil reconnaissant, dans la louange et l’action de grâce, de cette bonté de Dieu. Car ce qu’il approfondit, de demeures en demeures, c’est la conscience concrète que Dieu est bon. Ce n’est pas simplement une chose que l’on affirme, mais on en fait l’expérience.

      ARGUMENT 6. L’entrée dans les cinquièmes demeures marque un basculement : on ne passe pas des quatrièmes au cinquièmes demeures comme on passe des secondes aux troisièmes ou des troisièmes aux quatrièmes. Nous considérons moins notre vie comme un chemin vers Dieu mais nous expérimentons que Dieu vit en nous, comme l’exprime la parole de saint Paul : « Ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi » (Galates 2,20) ! Le désir d’aimer est plus vif : accueillant une vie nouvelle, nous perdons nos anciens repères et nos sécurités habituelles. DETAILS On ne passe pas des quatrièmes aux cinquièmes demeures comment on passe des secondes aux troisièmes ou des troisièmes aux quatrièmes Des deuxièmes demeures aux quatrièmes, on expérimente son chemin en le percevant surtout comme une avancée vers Dieu mais désormais on va expérimenter la vie de Dieu en nous. C’est une vie nouvelle qui commence. On est toujours sur la terre, on n’a peut-être pas changé de boulot, on peut être marié, on a des enfants, on a plein de choses et ce n’est pas forcément extérieurement qu’il y a des choses qui bougent même si parfois cela peut se passer dans ces domaines-là. Dieu a toujours été vivant en nous depuis le début de notre vie, mais maintenant une nouvelle réalité s’installe.
« Ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi » (Galates 2,20)
 Quand cette parole de Dieu s’accomplit et devient une réalité profonde en nous, on est tout d’un coup beaucoup plus libre à l’égard du monde, de soi-même et dans nos relations à Dieu, car désormais le Seigneur a beaucoup plus de liberté d’action en nous. Il peut nous donner plus profondément, car dire que Dieu est vivant en nous, cela veut dire que nous nous donnons. Dieu est don de lui-même. Et qu’est-ce qu’il va nous donner de plus en plus ? Il va nous donner de nous donner.
Dieu nous donne de pouvoir nous donner de plus en plus
Jusqu’à présent notre confiance en Dieu était perçue comme un combat. Pour le dire négativement, je choisissais de ne pas douter de Dieu et de son amour. Cela est un combat qui parfois n’a rien d’ évident de ne pas douter. Dans les cinquièmes demeures, Dieu donne gratuitement la certitude profonde de son amour.
Il devient de plus en plus impossible de douter de Dieu et de son amour
Une conviction de fond qui unifie notre être nous est donnée. Ce n’est pas le résultat de nos efforts. On reçoit de Dieu une qualité de certitude complètement nouvelle. Cela change la vie de manière radicale. Cette réelle conviction intérieure est une conviction d’amour et n’a rien à voir avec de la violence ou du fanatisme. Donc nous avons traversé tout un chemin qui nous a beaucoup libérés de nous-mêmes et qui a surtout développé en nous la confiance en Dieu. Notre confiance en Dieu voit ici son fruit le plus mûr et Dieu nous donne de percevoir son amour et d’en vivre plus pleinement, si bien qu’il n’est plus possible de douter de cet amour de Dieu.
Un désir d’aimer tellement transformé que l’on en perd ses repères et ses sécurités habituelles
L’entrée dans les cinquièmes demeures opère la transformation profonde de notre mode d’existence qui libère en nous un désir d’aimer bien plus profond. Thérèse d’Avila compare cette transformation à celle d’un ver à soie transformé en papillon blanc après être passé par l’étape du cocon. Le ver à soie voit son univers changer profondément : il mangeait des feuilles de mûriers et il faisait du fil dans un univers très réduit et tout d’un coup il va devenir un petit papillon, mais dans un contexte totalement différent puisqu’il vole dans l’air. C’est beaucoup plus large mais beaucoup moins sécurisant : plus l’Esprit agit en nous, plus nous nous sentons par nous-mêmes pauvres et ne pouvant pas nous appuyer sur nos anciens appuis. C’est l’amour qui nous fait vivre, l’amour de Dieu est en nous, il nous fait voler ,mais comme entre ciel et terre. Nous percevons alors la vie, les autres de manière radicalement différente.
L’amour de Dieu, l’amour des autres : parfois on se demande vers où il faut aller
La vie est complètement nouvelle : on est libéré de nous-mêmes, on ne se porte plus soi-même. Le combat de l’amour n’étant pas le nôtre, il faut le remettre sans cesse à Dieu. Intérieurement, on n’est plus comme dans les premières demeures, avec encore pas mal d’attaches qui permettent de se tenir, de se sécuriser, de contrôler. On a découvert dans tout le parcours combien nous tenions à bien des sécurités. Là, on est quasiment mis à nu dans ce domaine. L’amour nous décentre et nous révèle aussi notre fragilité, notre vulnérabilité, ce qui permet à cet amour de passer.

      ARGUMENT 7. Les sixièmes demeures consistent en des « fiançailles spirituelles » : il y a une alternance de souffrances liées au sentiment de l’absence de Dieu et d’expériences très profondes de la présence du Christ. Cela opère une dilatation plus profonde encore du cœur et du désir de Dieu. L’arme à utiliser dans ces épreuves est de toujours revenir à la sainte humanité du Christ : Jésus nous rejoint dans notre faiblesse humaine pour la transformer, en vivifiant notre désir d’aimer en communion avec lui. DETAILS Les sixièmes demeures : l’heure des « fiançailles spirituelles » Suit une partie du livre de sainte Thérèse d’Avila assez déconcertante pour un esprit moderne. C’est  en plus la partie la plus longue du livre. En résumé, les cinquièmes demeures ont libéré en nous ce que nous sommes vraiment, notre vrai désir, qui est le vrai désir de l’homme : aimer et être aimé. La confiance en Dieu et le désir d’aimer nous animent profondément. Comme pour des fiançailles humaines, il s’agit que s’opère l’apprentissage du véritable amour : c’est le Christ qui est notre maître d’amour.  Tout est au service ici de cet apprentissage de l’amour. Cela est bien présent dans les demeures précédentes mais ici tout est vécu comme une occasion de laisser le Christ nous apprendre à aimer, pour aller plus loin et plus profondément dans l’expérience de ce qu’est véritablement aimer. Nous sommes ici bien plus conscients qu’auparavant que la vocation humaine est d’être « serviteur ou servante de l’amour ».
Comment grandit l’amour et donc l’accueil croissant de la vie du Christ en nous 
Pour approfondir notre relation avec le Christ, Dieu va en bon pédagogue intensifier notre désir de lui. Cela se caractérise par l’alternance de grandes disettes, d’impressions de pauvreté, de vide et d’abandon, alternant avec au contraire des périodes marquées par un désir enflammé d’amour. Sainte Thérèse propose apparemment tout un catalogue de grâces mystiques : rapts dans l’esprit, visions imaginaires, visions intellectuelles, etc. Elles sont classées par ordre croissant d’intensité, autrement dit selon l’intensité des fruits qu’elles portent.  Il y a alternance entre les souffrances d’une l’absence ressentie, qui attisent le désir de Dieu. Si nous n’avions pas le désir de Dieu la souffrance de son absence serait nulle, mais plus nous avançons plus l’absence ressentie de Dieu ressemble à un enfer. Le Seigneur permet que nous expérimentions la souffrance de son absence pour élargir encore plus notre désir de recevoir son amour et de l’aimer.
Ce temps de fiançailles spirituelles s’apparente dans les évangiles aux temps d’apparitions et de disparitions du Ressuscité avant l’Ascension
Le Ressuscité est toujours présent mais les disciples perçoivent cette présence bien différemment. Il y a des moments où c’est la joie de la rencontre, puis vient la souffrance de son absence : c’est Jésus qui décide d’apparaître comme il le veut, à qui il veut comme il veut, tout cela pour éveiller et faire grandir la confiance et l’amour de ses disciples, quoi qu’il arrive.
Dans ces épreuves, il faut toujours revenir à la sainte humanité du Christ
Dans le chapitre central des sixièmes demeures, le septième, Thérèse qui a été tentée de vouloir dépasser l’humanité du Christ nous dit combien c’est une erreur et qu’il faut au contraire y revenir très souvent, car nous recevons vraiment tout dans le Christ incarné. Il faut donc bien au contraire s’attacher fermement à l’humanité du Christ.

      ARGUMENT 8. Les septièmes demeures enfin sont le point d’accomplissement marqué par l’union à Dieu dans le « mariage spirituel ». Ce mariage spirituel fut accordé à sainte Thérèse d’Avila le 18 novembre 1572. L’union à Dieu est une participation profonde au désir de Dieu de sauver tous les hommes. À travers le mariage spirituel tout est transformé et on reçoit un nouveau désir de vivre en assumant notre condition et nos engagements terrestres de manière encore plus concrète sans fuite aucune du réel. DETAILS Les septièmes demeures : l’union à Dieu dans le « mariage spirituel » Nous entrons dans les septièmes demeures : il n’y a que quatre chapitres dans cette partie du livre, mais ils évoquent le but de tout ce que nous avons déjà vécu par étapes pour arriver à l’union à Dieu. C’est le terme du chemin pour tous et il faut insister sur un point : Dieu n’a pas créé des hommes pour qu’ils s’arrêtent aux troisièmes, quatrièmes, cinquièmes ou aux sixièmes demeures. Seuls quelques élus atteindraient les septièmes. Tout le chemin est pour tout le monde. Tout le monde peut lire le Livre des demeures et pourquoi ne pas lire ces quatre chapitres dès le début, car ils éclaircissent le but vers lequel Dieu veut tous nous conduire. Le ciel, c’est-à-dire la vie avec Dieu, n’est pas et ne sera jamais une réalité statique ; elle est toujours dynamique, comme l’exprime si bien Grégoire de Nysse : elle va « de commencement en commencement par des commencements qui n’ont jamais de fin ». Dans la relation à Dieu, nous continuerons d’aller sans cesse de crescendo en crescendo et d’expérimenter une union à Dieu toujours plus unitive.
Ce mariage spirituel fut accordé à sainte Thérèse d’Avila le 18 novembre 1572
Ce « mariage spirituel » est l’alliance avec Dieu autant qu’il est possible de le vivre dans une vie terrestre. Thérèse utilisait l’image du mariage qui reste une image limitée, mais qui exprime quelque chose de la profondeur de la communion et aussi de l’aspect définitif de cette union.
Pour elle, cela s’est passé 18 novembre 1572 : ce jour-là, elle reçoit une vision du Christ qui lui tend un clou de sa Passion, en lui disant que désormais son honneur était celui de Thérèse et que celui de Thérèse était sien. Qu’est-ce que c’est, l’honneur de Jésus ? C’est le salut du monde ! Jésus a été crucifié, est ressuscité et glorifié dans le but de sauver tous les hommes. « L’honneur de Jésus » ce n’est pas seulement d’être le Fils du Père, c’est de sauver, de mettre en œuvre le salut pour chacun. Thérèse y est associée.
L’union à Dieu est une participation profonde au désir de Dieu de sauver tous les hommes 
Quand on vit aux septièmes demeures, on ne se préoccupe plus de savoir si on est sauvé. Notre propre salut ne nous préoccupe plus : ce qui nous occupe, alors  c’est, comme Jésus, de donner notre vie pour le salut des autres. L’union à Dieu c’est cela : une participation profonde au désir de Dieu de sauver tous les hommes. Paradoxalement les phénomènes mystiques sont plus rares. Quand on est pleinement uni à Dieu, on vit en permanence avec ce souci, cet horizon du salut des autres. C’est un engagement très concret dans l’amour fraternel. C’est aussi convivial, c’est aussi familial, c’est pour tout le monde : personne n’est exclu. L’amour est concret, universel, il est divin. Dieu aime tout le monde. La bonne nouvelle : Dieu aime les pécheurs. Le principal travail des pécheurs que nous sommes : y croire quoi qu’il arrive.
À travers le mariage spirituel, tout est transformé et on reçoit aussi un nouveau désir de vivre
Lorsque l’on est ainsi conduit  à la fin  du voyage, on pourrait penser que l’on aspire alors à quitter la vie terrestre le plus vite possible. Il n’en est rien. Dans les sixièmes demeures, Thérèse disait « je meurs de ne pas mourir ! » mais aux septièmes, elle reçoit un nouveau désir de vivre et cela la surprend. Elle expérimente une réconciliation profonde entre son engagement envers Dieu et ses tâches terrestres.  Le ciel et la terre sont comme unis à travers tout. Toutes les réalités de la vie sont transformées et tout est perçu en Dieu : soi-même, les autres, les tâches concrètes, etc. Rien n’est négligé. S’accomplit alors la fameuse dernière invocation de la première partie du Notre-Père : « que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel ». Or la volonté du Père, c’est le salut de toute l’humanité. Et le salut l’humanité, c’est la foi, la charité, la communion. Là s’opère la volonté du Père. La seule volonté du Père c’est que nous vivions de son amour.
Tout cela ne veut pas dire que l’on n’a plus de problèmes dans la vie concrète
Thérèse continue à vivre une vie humaine : elle a des problèmes de santé, et d’autres dans bien des domaines. Quand on considère la vie de Thérèse de 1572 à 1582, c’est tout sauf une partie de plaisir ou du repos. Elle a traversé de nombreuses réalités concrètes liées à la fondation de monastères, des problèmes relationnels … Mais une force lui a été donnée pour les assumer : rien ne peut la freiner, rien ne peut lui faire peur, car elle expérimente en tout que « Dieu seul suffit».

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