Préface du Cardinal Georges Cottier, op
Éd. Parole et Silence, 2014, 322 p., 27 €
Voici un ouvrage qui rendra grand service à toute personne qui
désirerait connaître les grands textes de Jean-Paul II sur les Juifs et le
Judaïsme tout au long des 26 ans de son pontificat (1978-2005), mais plus
encore à tout chercheur qui voudrait avoir une vue quasi exhaustive de ses
déclarations et gestes dans le domaine des relations judéo-chrétiennes.
Le P. Jean Stern nous offre en effet un travail qui n’avait encore
jamais été proposé, du moins dans l’ère francophone : présenter, avec une
exigence de systématicité, les grands textes et thèmes de Jean-Paul II dans son
approche du peuple juif et du Judaïsme, aussi bien lors de ses allocutions
auprès de délégations juives pendant ses très nombreux voyages, qu’à travers
les documents officiels produits sous son pontificat.
C’est ainsi que l’auteur revient à juste titre, à plusieurs reprises,
sur la fameuse « formule de Mayence » (17 novembre 1980) dans
laquelle Jean-Paul II affirme fortement : « l’ancienne Alliance
[…] n’a jamais été dénoncée par Dieu », affirmation répétée par le
Catéchisme de l’Église catholique (1992) qui enseigne que « l’Ancienne
Alliance n’a jamais été révoquée » (CEC 121) à la suite de saint Paul
(cf. Rm 11, 29) (cf. pp. 22-23).
En fin de volume, l’auteur dresse une liste très riche des « interventions
de Jean-Paul II sur Israël et le Judaïsme » (pp. 307-317) où, année
après année, sont donnés les lieux, les dates exactes, les circonstances dans
lesquelles le Pape s’est exprimé sur ces sujets. On perçoit, en parcourant
toutes ces années, la grande régularité de ces interventions et les contextes
les plus divers dans lesquels elles se sont insérées.
J. Stern reproduit également dans ce livre un certain nombre
d’interventions de Jean-Paul II qu’il est très utile de pouvoir lire, au fil
des ans, dans leur continuité. Il les fait suivre de deux documents émanant de
la Commission pontificale pour les relations religieuses avec le
Judaïsme : les « Notes » de 1985 « pour une
correcte présentation des Juifs et du Judaïsme dans la prédication et la
catéchèse de l’Église catholique », et « Nous nous souvenons »,
le document de réflexion de cette même Commission pontificale sur la Shoah.
Mais il ne faudrait pas penser que ce livre n’est qu’un simple
commentaire de textes de Jean-Paul II, car l’auteur est un authentique
théologien qui a profondément pensé notamment toutes les résurgences actuelles
du marcionisme qui guette toujours l’Église. Il en donne de nombreux exemples
contemporains dans un chapitre particulièrement dense intitulé : « Marcionisme,
néo-marcionisme et Tradition de l’Église » (pp. 121-158). La revue Sens
avait déjà reproduit une étude de Jean Stern sur ce thème, « ’Sortie de
la religion’. Marcionisme et Eucharistie » [1].
D’autres études théologiques viennent enrichir ces méditations sur le
Mystère d’Israël, l’une sur « Israël et l’Église dans l’exégèse de
saint Grégoire le Grand » (pp. 275-291), l’autre sur « Marie
et son peuple dans la liturgie romaine actuelle » (pp. 293-305), étude
particulièrement précieuse car l’auteur, Missionnaire de Notre-Dame de La
Salette, était spécialement qualifié pour la mener à son terme.
Pour finir, deux remarques qui ne sont nullement des critiques mais qui
voudraient plutôt élargir le champ de recherches de l’auteur et proposer de les
prolonger :
Dans cette étude serrée des
textes de Jean-Paul II, J. Stern ne pouvait, parallèlement, approfondir
longuement les relations personnelles du Pape avec ses amis juifs qui ont
pourtant intensément nourri sa réflexion en ce domaine : en premier lieu,
évidemment son ami d’enfance, Jerzy Kluger. On dispose aujourd’hui de
trois livres en français sur leurs relations, l’un de Gian Franco Svidercoschi,
L’ami juif du pape, éd. Mame, 1995 ; Darcy O’ Brien, Dans le
secret du Vatican. Le récit inédit d’une amitié qui a radicalement changé les
relations entre Catholiques et Juifs, éd. Fides (Québec, Canada), 1999 ;
enfin, un livre de J. Kluger lui-même (avec Gianfranco Di Simone), Une
amitié qui a changé l’Histoire. Jean-Paul II et son ami juif, éd. Salvator,
2013.
Mais il est une autre amitié, moins connue parce que se situant à un
niveau essentiellement philosophique, qui est sa relation avec Emmanuel
Levinas. Qu’il me soit permis d’ajouter que je donne un assez grand nombre
de références en ce domaine dans un chapitre de mon article sur « Jean-Paul
II, 26 ans d’actes et d’écrits en direction des Juifs et du Judaïsme »,
« La rencontre d’Emmanuel Levinas » [2].
Enfin, cet ouvrage
mériterait une suite : en effet, la Tradition de l’Église est une réalité
essentiellement vivante qui ne cesse de se renouveler, et tout particulièrement
dans le domaine des relations judéo-chrétiennes qui a connu des développements
déterminants depuis seulement cinquante ans, c’est-à-dire depuis le Concile
Vatican II (1962-1965).
Après Jean-Paul II, le pontificat de Benoît XVI (2005-2013) a intensément
approfondi les relations de l’Église catholique avec le Peuple juif et le
Judaïsme, notamment par une réflexion essentiellement théologique.
Un autre livre, bâti comme celui-ci, qui tendrait également à présenter
de façon quasi systématique et exhaustive les textes de Benoît XVI en direction
du Judaïsme serait des plus précieux. Pour ne donner qu’un exemple et une
nuance, Mgr d’Ornellas me faisait remarquer que là où Jean-Paul II parle de ses
« frères aînés dans la foi » (discours à la Grande Synagogue de
Rome, 13 avril 1986), Benoît XVI évoque, lui, ses « frères aimés dans
la foi » (discours aux représentants de la communauté juive, à la
nonciature apostolique, Paris, 12 septembre 2008 [3].), inflexion qui donne vraiment à penser ! Un beau
chantier en perspective.
Bruno CHARMET
[1] Cf. Sens, n°378, avril
2013, pp. 325-331.
[2] B. Charmet, in Sens, 6,
2005, pp. 326-329
[3] Cf. Sens, 11, 2008, p.
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