Jean-Paul II est « entré dans la vie » le samedi 2 avril 2005,
veille du 2e dimanche de Pâques, qu’il avait institué dimanche de la
Miséricorde divine. Il est mort comme il a vécu, en priant. Sa vie prend tout
son sens à la lumière de la prière et de la miséricorde. Canonisé le 27 avril
2014 par le pape François, l’Église a fixé la date de sa mémoire liturgique le
22 octobre, jour de son intronisation à Rome comme pape le dimanche 22 octobre
1978.
Un grand priant
La méditation de la Bible et la contemplation du mystère de Dieu auront
inspiré les vingt-six années de pontificat de Jean-Paul II. Sa capacité de
recueillement étonnait et sa grande intériorité pacifiait. J’en fus témoin lors
d’une audience avec lui, quelques jours après la béatification de son amie mère
Teresa en octobre 2003. D’autres l’ont dit avant moi, ce Polonais était un bloc
de prière. Il pouvait prier partout, seul ou entouré de milliers de personnes,
avec autant de profondeur.
Dans son encyclique du Jeudi Saint 2003, L’Église vit de
l’Eucharistie, il faisait cette confidence : « Comment ne pas ressentir le
besoin renouvelé de demeurer longuement, en conversation spirituelle, en
adoration silencieuse, en attitude d’amour, devant le Christ présent dans le
Saint-Sacrement? Bien des fois, chers Frères et Sœurs, j’ai fait cette
expérience et j’en ai reçu force, consolation et soutien! » (no 25)
Dans sa lettre apostolique Au début du nouveau millénaire, qui
est un peu son testament, il voyait « un christianisme qui se distingue avant
tout dans l’art de la prière » (no 32). Ce pape rappelait que les chemins qui
conduisent à la sainteté passent par la prière et la liturgie : « Tel est le
secret d’un christianisme vraiment vital, qui n’a pas de motif de craindre
l’avenir, parce qu’il revient continuellement aux sources et qu’il s’y régénère
» (no 32).
Les racines polonaises
C’est d’abord auprès de sa mère que le petit Karol Wojtyla, surnommé
Lolek, apprend très tôt à faire sa prière. Le père prendra la relève au décès
de son épouse en 1929. Son fils n’a que neuf ans. Tous les jours, il va à la
messe avec lui, ils font ensemble la prière du soir, dorment dans la même
pièce. La nuit, que de fois n’a-t-il pas vu son père à genoux! Ce dernier lui
transmet l’amour de Dieu et de la Pologne, le culte de la montagne et des
pèlerinages à Marie.
Ce père si dévoué mourra seul, en février 1941, dans une Pologne occupée
par les Allemands, alors que Karol travaille dans une carrière de pierre. Le
choc est terrible pour le jeune homme de vingt ans. Orphelin et déraciné dans sa
patrie, il voit s’ouvrir à lui le sacerdoce. Il résiste contre l’occupation
allemande en faisant du théâtre avec la troupe Rapsodie, pour la beauté des
mots et l’émotion qu’apporte une parole vivante. Il écrit de la poésie, qu’il
trouve proche de la prière, comme les psaumes. Les dernières années de son long
pontificat seront d’ailleurs consacrées à la méditation des psaumes, lors des
catéchèses publiques du mercredi.
Plus jeune, Karol aimait fréquenter la chapelle du monastère des carmes
à Wadowice. Il y trouvait là un silence qui nourrissait son cœur à cœur avec le
Christ. Plus tard, il fera sa thèse de doctorat en théologie sur la foi dans la
pensée du carme espagnol Jean de la Croix. Lorsque, durant la guerre, il
étudiait clandestinement la théologie, il avait envisagé la vie monastique. Il
gardera toute sa vie l’amour du silence et de la solitude, ces deux ailes de la
prière profonde.
Nommé évêque de Cracovie en 1958, il choisit sa devise, extraite d’une
prière à la Vierge de saint Louis-Marie Grignion de Montfort : « Totus
tuus. Tout à toi. » Il fait ainsi référence à Marie, lui consacrant sa
vie. Elle sera toujours là, protégeant et soutenant ce fils qui l’aime tant.
Pour marquer l’entrée de sa vingt-cinquième année de pontificat, le 16 octobre
2002, il publie une lettre apostolique Rosarium Virginis Mariae, où il
montre la place centrale du Rosaire dans sa vie : « Le Rosaire m’a
accompagné dans les temps de joie et dans les temps d’épreuve. Je lui ai confié
de nombreuses préoccupations. En lui, j’ai toujours trouvé le réconfort. Le
Rosaire est ma prière préférée. C’est une prière merveilleuse. Merveilleuse de
simplicité et de profondeur » (no 2).
De la Pologne à Rome
Mgr Wojtyla participe aux sessions du concile Vatican II. Chaque jour,
il arrive assez tôt à la basilique Saint-Pierre pour prier dans la chapelle du
Saint-Sacrement. Il y côtoie le protestant Roger Schultz, prieur du monastère
de Taizé, qui deviendra son ami. Il se rendra plusieurs fois à Taizé. L’unité
des chrétiens deviendra d’ailleurs une préoccupation constante de son
pontificat.
Le jeune évêque devient assez proche de Paul VI qui le nomme cardinal.
Il passe plusieurs heures par jour en prière : oraison silencieuse, messe
matinale, bréviaire, chapelet, chemin de Croix. Le curé d’Ars reste son modèle
de prêtre, aussi aime-t-il confesser. Il fait parler de lui en 1977 lorsqu’il
appuie les ouvriers polonais du mouvement Solidarité, se liant d’amitié avec
Lech Walesa.
À la mort de Paul VI, il se rend à Rome pour le conclave. Jean-Paul Ier
meurt un mois après son élection. Nous connaissons la suite. L’Église et le
monde vont découvrir un géant de la foi. Ce premier pape venu de l’Est
deviendra bien vite familier à tous. Quelques jours après son élection, il sort
déjà du Vatican et se rend au sanctuaire marial de la Mentorella, près de Rome.
Le serviteur souffrant
Tout Jean-Paul II était déjà présent en Karol Wojtyla. Un exemple :
même s’il est le premier pape à prier dans une synagogue à Rome le 13 avril
1986, il l’avait déjà fait en 1969 en se rendant à la synagogue de Cracovie,
alors qu’il était archevêque. Même chose pour les cérémonies publiques de
repentance lors du Jubilé. Karol Wojtyla avait déjà été à l’origine d’une
démarche de réconciliation entre les évêques polonais et les évêques allemands
en 1965. Pour lui, la prière s’enracinait dans la vie.
Ce priant aimait faire du sport. En Pologne, il organisait des
randonnées en montagne et des excursions en canoë-kayak avec des jeunes. Une
opération au fémur en 1994 mettra fin au ski. Il restera au « sportif de
Dieu », selon l’expression du cardinal Marty, les vacances annuelles où il
en profitait pour marcher dans la nature et « parler tranquillement à
Dieu », comme il le disait lui-même.
La santé du pape aura été rudement mise à l’épreuve, surtout depuis son
attentat sur la place Saint-Pierre, le 13 mai 1981, jour anniversaire de la
première apparition de Marie à Fatima. Il confiera à son ami André
Frossard : « Une main a tiré, une autre a guidé la balle. » Sa
prière et son action pour construire « la civilisation de
l’amour » n’en seront que plus ferventes. Il contribuera à l’effondrement
du communisme en Europe et à la chute du mur de Berlin. Il voyagera plus que
jamais, luttant contre ce qu’il appellera « une culture de mort ».
La maladie de Parkinson fait son œuvre dans son corps. Après plus de
cent voyages à travers le monde, il ne marche quasiment plus. Son corps n’est
qu’offrande, comme sa prière. Il fait entrer l’Église dans le troisième
millénaire par sa souffrance. À chacune de ses apparitions, les gens sentaient
bien que ce pape courbé était là pour eux, leur parlant comme un père à ses
enfants. Il les aima jusqu’à la fin, même sans paroles. Il appellera souvent
l’humanité angoissée à s’unir à lui dans la miséricorde de Dieu, élément clef
de son pontificat.
Fait unique dans l’histoire, le pape organisa à Assise trois rencontres
avec les chefs des autres religions pour prier et jeûner ensemble pour la paix
dans le monde. L’image la plus forte de son pontificat restera peut-être sa
visite à Jérusalem où, le 26 mars 2000, il se rendit devant le mur des
lamentations et y déposa dans un creux du mur une prière par laquelle il
implorait le pardon de Dieu pour toutes les fautes commises contre les Juifs,
le peuple de l’Alliance.
Benoît XVI aura la grâce de béatifier son ami le 1er mai 2011. Le pape
François le canonisera en même temps que Jean XXIII le 27 avril 2014 devant 800
000 fidèles. Il dira de ces deux papes : « Ils ont connu les
tragédies mais n’en ont pas été écrasés. En eux, Dieu était plus fort ».