(Jean-Paul II et le Grand Rabbin Toaff, DR)
« On reconnaît au pape Jean-Paul II d’avoir définitivement brisé la glace dans le dialogue judéo-catholique « , explique le père Norbert Hofmann, secrétaire de la Commission du Saint-Siège pour les relations religieuses avec le judaïsme.
Il publie en effet un article intitulé »: « Les papes et le dialogue entre catholiques et juifs », dans L’Osservatore Romano en italien des 16-17 janvier 2017, à l’occasion de la Journée du judaïsme célébrée chaque année dans différents pays le 17 janvier, à la veille de la grande semaine de prière pour l’unité des chrétiens (18-25 janvier).
L’an dernier à cette date, le pape François se rendait en visite à la Grande synagogue de Rome, où il a été accueillir par le Grand rabbin Riccardo Di Segni.
Pour le père Hofmann, « la journée du judaïsme, que l’on célèbre en Italie le 17 janvier, est le signe de la grande estime qui existe au sein de l’Église catholique à l’égard du judaïsme »: « Elle veut offrir aux chrétiens une occasion profitable de se souvenir avec gratitude des racines juives de leur foi, tout en prenant conscience, avec sensibilité, du dialogue en cours avec le judaïsme aujourd’hui. La journée, outre l’Italie, est aussi célébrée tous les 17 janvier en Pologne, en Autriche et aux Pays-Bas, où elle a été introduite par les conférences épiscopales respectives. »
« Dans l’Église catholique, l’empreinte et l’orientation de chaque pontificat vers le judaïsme étant d’une importance fondamentale, cette journée est aussi le moment opportun pour regarder l’engagement des trois derniers papes dans le dialogue judéo-catholique, fait observer le père Hofmann qui rappelle les différente étapes des trois derniers pontificats, à commencer par celui de Jean-Paul II, marqué par la première visite d’un pape à la Grande synagogue de Rome.
« On reconnaît au pape Jean-Paul II d’avoir définitivement brisé la glace dans le dialogue judéo-catholique ; le premier il a accompli envers les juifs des gestes d’amitié inoubliables. Certes, d’importants pas de rapprochement avaient déjà été entrepris par le pape Paul VI, mais c’est seulement avec Jean-Paul II que l’on commença à percevoir l’engagement de l’Église catholique en faveur du judaïsme », explique le père Hofmann.
Il rappelle les racines polonaises de l’expérience de Karol Wojtyla: « Déjà pour des motifs liés à son histoire personnelle, Karol Wojtyła a eu à cœur l’amélioration des relations entre juifs et catholiques. Il a en effet grandi dans la petite ville polonaise de Wadowice, dont la population était constituée, pour un quart, de juifs. Depuis son enfance, donc, il a eu des amis juifs sur les bancs de l’école et dans ses temps libres ; il connaissait leurs usages et leur mode de vie, il avait appris à partager leur quotidien et avait lié des amitiés fortes : il est resté lié jusqu’à la mort à un vieux compagnon juif, Jerzy Kluger, avec lequel il avait grandi en Pologne et avec lequel il est toujours resté en contact, même après avoir été élu pape et s’être transféré à Rome. Karol Wojtyła avait expérimenté de près l’horreur du nazisme, dont beaucoup de ses amis juifs furent les victimes, pendant la Shoah, et il en a profondément souffert. »
« Il est donc facilement compréhensible, continue le p. Hofmann, que, même une fois pape, il ait ressenti le devoir de s’engager personnellement en faveur du développement et de l’intensification de l’amitié entre l’Église catholique et le judaïsme. »
Il salue les « gestes » du saint pape polonais, à commencer par sa visite à Auschwitz, dès sa première année de pontificat: « Le signe qu’il a laissé dans le dialogue judéo-catholique a beaucoup dépendu de sa personnalité unique : comme personne avant lui, il sut accomplir en public des gestes d’importance symbolique en mesure de rendre visible ce qui lui tenait réellement à cœur. Dès la première année de son pontificat, le 7 juin 1979, il a visité le camp de concentration d’Auschwitz-Birkenau ; là, devant la pierre gravée en hébreu, il s’est recueilli en prière rappelant en particulier les victimes de la Shoah. À cette occasion, il a fait observer : « Cette inscription suscite le souvenir du peuple dont les fils et les filles étaient destinés à l’extermination totale. Ce peuple tire son origine d’Abraham qui est le père de notre foi (cf. Rm 4,12), comme l’a exprimé Paul de Tarse. Précisément ce peuple, qui a reçu de Dieu le commandement « Tu ne tueras pas », a éprouvé sur lui-même dans une mesure particulière ce que signifie tuer. Devant cette pierre, il n’est permis à personne de passer outre avec indifférence ». »
L’auteur rappelle la rencontre de saint Jean-Paul II avec la communauté juive de Rome et le regretté grand rabbin Elio Toaff à la grande synagogue de Rome: « Mais plus dense encore de signification symbolique et de résonnance médiatique fut la visite de Jean-Paul II à la synagogue de Rome, le 13 avril 1986. L’image de l’accolade du pape et du grand rabbin Elio Toaff devant la Grande synagogue a fait le tour du monde. Pour la première fois dans l’histoire, un pape s’est rendu officiellement dans une synagogue pour exprimer, devant le monde entier, son estime pour le judaïsme. Un autre pas important dans les relations avec les juifs fut accompli à la fin du mois de décembre 1993, avec la reconnaissance diplomatique de l’État d’Israël par le Saint-Siège ; l’année suivante, a eu lieu l’échange des ambassadeurs respectifs. »
Avec les gestes, les paroles. Le p. Hofmann cite un document parfois oublié et la demande de pardon, à Saint-Pierre, dans le cadre du grand jubilé de l’An 2000 et de ce que le pape appelait « la purification de la mémoire » nécessaire pour entrer dans le troisième millénaire: « C’est à la lumière du document publié en 1998, intitulé « Nous nous souvenons. Une réflexion sur la Shoah » qu’il faut comprendre le geste effectué le 12 mars 2000, quand le pape, au cours d’une liturgie publique, a demandé pardon pour les fautes commises contre le peuple d’Israël, dans une prière : « Dieu de nos Pères, tu as choisi Abraham et sa descendance pour que ton Nom soit apporté aux peuples : nous sommes profondément attristés par le comportement de ceux qui, au cours de l’histoire, ont fait souffrir tes enfants et, te demandant pardon, nous voulons nous engager dans une fraternité authentique avec le peuple de l’alliance ». »
Et il y a eu, à Jérusalem, la prière au pied du Mur des Lamentations – ou Mur Occidental ou Kotel -, avec cette même prière laissée dans la fissure de ce mur de soubassement du Temple d’Hérode le Grand détruit par les Romains en 70, la visite au mémorial de la Shoah de Yad VaShem, et la rencontre avec des survivants: « Cette même prière de pardon, légèrement modifiée dans la forme, Jean-Paul II l’a écrite sur un feuillet et l’a insérée dans les pierres du Mur des Lamentations à Jérusalem, à l’occasion de sa visite en Israël le 26 mars 2000. La visite du pape à l’État d’Israël peut certainement être définie comme une visite historique puisqu’elle a donné une impulsion considérable à la promotion du dialogue judéo-catholique. Jean-Paul II a visité le monument commémoratif de Yad VaShem, a prié pour les victimes de la Shoah, a rencontré quelques survivants de cette tragédie indicible, a participé à une rencontre interreligieuse à laquelle étaient aussi présents des représentants musulmans et est entré en contact pour la première fois avec le Grand Rabbinat de Jérusalem. »
Un contact qui ne devait pas être sans lendemain, avec des visites au Vatican de représentants du judaïsme mondial, ou des visites de Jean-Paul II dans d’autres synagogues, comme à Washington ou Cologne, rappelle encore le p. Hofmann: « Quelques années plus tard, le 16 janvier 2004, il a de nouveau rencontré les deux grands rabbins d’Israël lorsqu’était déjà en cours le dialogue institutionnel entre le Grand Rabbinat et la Commission du Saint-Siège pour les rapports religieux avec les juifs. Jean-Paul II a régulièrement reçu au Vatican des groupes et des personnalités du monde juif et, pendant ses nombreuses visites pastorales, il a toujours fait en sorte qu’à l’intérieur du programme, il y ait des rencontres avec des délégations juives là où la communauté juive constituait une forte présence locale. »
Le père Hofmann souligne que ce chemin est désormais irréversible: « À la lumière du grand engagement de ce pape en faveur des relations entre juifs et catholiques, nous pouvons dire que c’est précisément pendant son long pontificat qu’ont été jetées les bases et cimentés les fondations du dialogue futur. Faire marche arrière par rapport à ce qui a été réalisé sous son pontificat ne sera jamais possible ; les claires orientations fournies par le document Nostra aetate (n.4) restent désormais valides et constituent un point de référence irrévocable. Aujourd’hui, les partenaires du dialogue juif nourrissent envers Jean-Paul II une estime et une gratitude sincères ; l’admiration pour sa personne et pour son œuvre de réconciliation demeure intacte. »
(à suivre)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire