Dans les
Évangiles, Jésus donne à ses disciples la prière du Notre Père pour s’adresser
à Dieu. Elle est devenue celle de tous les chrétiens. Quelle est
l’influence de la liturgie
juive sur cette prière ?
«Notre Père qui est dans les
cieux»
Notre Père qui est dans les cieux
Mishnah Yoma, invocation habituelle – 5° et 6′ bénédictions,
2° prière avant le Shema: »Ahavah rabbah, Qaddish.
«Sanctifié soit ton Nom»
Que soit sanctifié ton Nom très haut dans le monde que tu as créé selon
ta volonté.
Qaddish, Qedushah et Shemoné Esré de la prière quotidienne ; cf aussi Ez
38,23.
«Vienne ton Règne»
Que vienne bientôt et que soit reconnu du monde entier ton Règne et ta
Seigneurie afin que soit loué ton Nom pour l’éternité.
Qaddish.
«Que soit faite ta volonté sur
terre comme au ciel»
Que soit faite ta volonté dans le ciel et sur la terre, donne la
tranquillité de l’esprit à ceux qui te craignent, et, pour le reste, agis selon
ton bon plaisir.
Tosephta Berakhoth 3,7. Talmud Berakhoth 29b ; cf aussi 1 S 3,18 ; 1 Mc
3,60
«Notre pain quotidien
Donne-le-nous aujourd’hui»
Fais-nous jouir du pain que tu nous accordes chaque jour.
Mekhilta sur Ex 16,4 ; Beza 16a
«Et remets nous nos dettes
Comme nous avons remis à nos
débiteurs»
Remets-nous, notre Père, nos péchés comme nous les remettons à tous ceux
qui nous ont fait souffrir.
Shemoné Esré ; Mishnah Yoma à la fin ; Tosephtah Taannith 1,8 ; Talmud
Taanith 16a.
« Et ne nous laisse pas entrer en
tentation»
Ne nous livre pas au pouvoir du péché, de la
transgression, de la faute, de la tentation ni de la honte. Ne laisse pas
dominer en nous le penchant du mal .
Prière du matin ; Berakhoth 16b, 17a, 60b ; Sanhedrin 107a.
«Mais délivre nous du Mauvais»
Vois notre misère et mène notre combat. Délivre-nous sans tarder à cause
de ton Nom, car tu es le Libérateur puissant. Béni es-tu, Seigneur, Libérateur
d’Israël.
7°bénédiction.
« Car c’est à toi
qu’appartiennent le règne, la puissance et la gloire pour les siècles des
siècles.»
Car la grandeur et la gloire, la victoire et la majesté sont tiennes
ainsi que toutes les choses au ciel et sur la terre. ÀToi est le règne et Tu es
le Seigneurde tout êtrevivant dans les siècles
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Les Sources du Notre Père
Par Colette KESSLER
Sens 1992 n° 9/10 (septembre-octobre), p. 362-364. Cet exposé a
été fait par Colette Kessler, théologienne juive, dans le cadre d’un Synode de
l’Église Réformée d’Alsace et de Lorraine. [Cf. Le Christianisme, Hebdomadaire
protestant n° 350. Semaine du 12 au 18 avril 1992].
L’appellation de Dieu : « Notre
Père »
Le terme de Père pour désigner Dieu, contrairement à ce que l’on a pu
lire ou dire, est employé dans la Bible, même s’il est vrai
qu’il est plus rare dans la Bible juive que dans le
Nouveau Testament. Il est employé aussi dans la tradition orale et dans la
liturgie. Si Jésus appelle Dieu : « Abba » (Père) et ordonne à ses disciples de
s’adresser à lui en disant : « Notre Père », c’est qu’il sait par l’Écriture
que le Deutéronome disait à Israël : « Vous êtes les fils de l’Éternel votre
Dieu » (Dt 14, 1) et que le prophète Jérémie,
s’adressant à Israël afin qu’il se repente, parle ainsi : « Dieu te dit : je
veux te faire une place parmi mes enfants. Tu m’appelleras : mon Père, et tu ne
t’éloigneras plus de moi » (Jr 3, 20). On pourrait multiplier les citations
bibliques.
Je voudrais tenter de cerner, au niveau biblique, le sens même de
l’appellation : « Père ». Peut-être la Bible juive, et ensuite le Nouveau
Testament, sont-ils une des rares littératures religieuses qui aient osé
employer cette métaphore de la relation filiale pour exprimer deux notions
essentielles : tout d’abord la proximité de l’homme et de Dieu. L’homme fut
créé à l’image de Dieu et en ce sens, selon la Bible et le Judaïsme, tout homme
est appelé à « devenir fils de Dieu ».
Pour dire aussi que réalisée dans un être collectif ou individuel, la
véritable filiation exprime la notion particulière d’élection, de choix de
Dieu, pour une collectivité ou pour un homme.
Nous trouvons cette appellation de « Père qui est au ciel » encore
aujourd’hui, et ceci depuis 2000 ans ou plus, dans nos prières quotidiennes.
Dans le texte lu ce matin par l’aumônier du Synode, qui est une des
bénédictions qui précèdent le Shema Israël, nous disons : « Notre Père, notre
Roi, enseigne-nous ta doctrine », et nous ajoutons : « Notre Père, Père
miséricordieux ». Dans la « Amidah », la prière par excellence dite trois fois
par jour pour tous les jours de l’année par le juif pieux, Dieu est appelé par
deux fois Père : « Fais-nous revenir, notre Père, vers la Torah » et aussi : «
Pardonne-nous, notre Père, car nous avons péché contre toi ».
Il faut dire que dans la tradition juive et dans la liturgie juive,
cette appellation de Dieu comme “Père” et comme « Notre Père », est souvent
complétée, balancée par l’appellation “Notre Roi”. « Notre Père, Notre Roi »,
telle est la litanie de la prière que nous répétons à chacun des offices de la
longue journée de Kipppour.
Cette double appellation de « Notre Père » et « Notre Roi » exprime que
pour le Judaïsme, dans sa lecture continue et existentielle de la Bible, Dieu
est proche, il est le Dieu d’amour, de miséricorde
longanirne et abondant en grâce dont nous parle l’Exode. Mais cette proximité
de Dieu ne doit pas faire oublier à l’homme, et même à l’élu, que Dieu est
aussi le Dieu Maître de l’Univers, le Roi de l’Univers, le Tout Autre, qui
exige de nous d’agir ici-bas pour qu’enfin il soit, selon une parole de
Zacharie (14, 9), parole répétée à la fin de tous les offices, « reconnu Roi
sur toute la terre ».
« Que ton nom soit sanctifié ».
Qu’est-ce que cela évoque pour le juif ? Immédiatement une formule
liturgique très ancienne qui, sans doute, existait déjà du temps de Jésus. On
la trouve dans le Kaddish, prière de sanctification, prière quotidienne qui
scande les différentes parties de l’office, qui est peut-être la plus familière
à tout juif parce qu’elle est devenue (non pas à l’époque de Jésus, mais plus
tard) la prière que dit tout juif qui perd un être cher. Prière du deuil, qui,
dans son contenu, ne parle pas une seule fois de la mort, mais au contraire de
l’espérance
en la sanctification du nom et en la venue du règne de Dieu sur la terre,
permettant ainsi à toute personne endeuillée de surmonter sa propre douleur en
s’insérant dans une communauté, dans un peuple qui existe, agit, vit en
espérant la venue du règne. « Que ton nom soit sanctifié » est donc presque textuellement
dans le Kaddish : «Qu’il soit grandi et sanctifié, son grand nom ».
La sanctification du nom s’effectue dans trois directions.
a) Sanctifier la vie : cela
signifie insérer la présence de Dieu dans tous les gestes de l’existence, ne
pas profaner le nom de Dieu dans l’existence que l’on mène. C’est ce qui
explique et donne sens à tous les commandements qui régissent la vie
quotidienne et “profane” du juif., cette vie qui par-là même n’est plus profane
mais consacrée.
b) Sanctifier le temps : le
temps, comme l’écrit merveilleusement un de nos théologiens Abraham Heschel*, «
est le temps à bâtir » : temps confié à l’homme, il doit être marqué par le
Shabbat, les fêtes qu’on appelle « convocations de l’Éternel » ; sanctification
du temps dans le quotidien de l’existence en portant ainsi le témoignage de la
présence de Dieu au monde. C’est bien là le sens de ce que nous disons deux
fois par jour dans le Shema Israël, cette profession de foi juive dont le
premier paragraphe est tiré du Deutéronome 4, 6.
c) Sanctifier le nom : Oui,
depuis l’époque des Maccabées (IIe siècle avant notre ère), en passant par
Rabbi Akiba (IIe siècle de notre ère), en passant par les bûchers de
l’Inquisition, et, plus près de nous, hélas, par l’épreuve de la Shoah, des
juifs ont préféré mourir pour maintenir leur identité et proclamer leur foi.
Plutôt mourir que d’enfreindre les lois fondamentales qui justifient leur
présence dans le monde.
Dans le Talmud même, précisément à l’époque qui était fertile, hélas, en
menaces d’extinction physique et spirituelle, les rabbins ont défini trois
commandements qu’en aucun cas le juif ne doit enfreindre, même si c’est au
péril de sa vie, pour ne pas être considéré comme reniant Dieu, reniant
l’alliance pour se sauver lui-même. Ces trois commandements sont :
• l’interdiction de l’idolâtrie ;
• l’interdiction de répandre le sang si on vous y oblige ;
• l’interdiction de pratiques sexuelles contraires aux lois
fondamentales de l’éthique humaine telles qu’elles nous sont livrées notamment
dans le Lévitique.
Pour conclure ce paragraphe; je dirai que tout au long des siècles et
aujourd’hui encore, Israël prie Dieu de le laisser sanctifier son nom afin
qu’il soit sanctifié aux yeux des hommes.
Le pardon des fautes
La troisième demande du Notre Père est la suivante : « Pardonne-nous nos
fautes ». Je mentionnais déjà tout à l’heure cette bénédiction de la Arnidah :
« Pardonne-nous, notre Père, car nous avons péché ». Mais ce que l’on a relevé
— et on le trouve dans la traduction du Notre Père dans la Bible de Jérusalem —
c’est ce qu’il est peut-être plus correct d’appeler faute, dette : «
Remets-nous nos dettes, comme nous les remettons ». Le mot dette correspond à
un mot araméen, langue parlée au temps de Jésus — qui signifie à la fois dette,
obligation et par extension, péché et faute. Un homme est en dette vis-à-vis de
Dieu quand il a commis un écart dans sa conduite par rapport à ce que Dieu
attend de lui. À partir du moment où l’homme est en dette, il n’a pas «
accompli son devoir ». S’il n’a pas accompli son devoir, il sait cependant que
Dieu a préservé pour lui un temps et un moyen pour revenir à Lui, pour se
remettre dans la voie droite que Dieu lui avait prescrite. Ce moyen, c’est la
Techouvah, la repentance.
La Techouvah, c’est le moyen mis à la disposition de l’homme par Dieu
pour se repentir des fautes commises vis-à-vis de Dieu. Mais la tradition juive
nous enseigne de faire précéder cette demande de pardon à Dieu par des gestes
et des paroles de demande de pardon au prochain.
* Cf. Abraham Heschel, Les
Bâtisseurs du temps, Les éditions de Minuit, coll. Aleph, 1957 [NDLR].
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