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dimanche 13 novembre 2016

L'Église a-t-elle des ennemis?

 
 Voici les questions soulevées à la dernière réunion : 

(Maria Besançon, pour Marie Fille de Sion)

               « A cause des évènements que nous vivons la question se pose-t-elle pour nous, les membres de « Fille de Sion », de réfléchir ensemble sur la nature du combat contre « les ennemis » du peuple de Dieu dans l’histoire du Salut ? » : 

1 -L’Eglise a-t-elle, comme le peuple d’Israël, des ennemis ?
2 -Le chrétien doit-il reconnaître et désigner ses ennemis? Doit-il les combattre et de quelle manière?
3 -Pourquoi les psaumes imprécatoires ne sont-ils pas prononcés dans l’Eglise ?
4  -Quel sens donner à la Parole du Christ : « Je ne suis pas venue apporter la Paix, mais le glaive » (Mt.10,34 )


I
L’Eglise a-t-elle des ennemis ?

Le Christ dit aux apôtres : « Aimez vos ennemis » (Mt. 5,44/ Lc. 6,27). L’Eglise est donc prévenue : elle subira, comme le peuple d’Israël, l’attaque de ceux qui seront ses ennemis. Jésus Lui-même rappelle le psaume de David lorsque, sous l’inspiration de l’Esprit Saint il prophétise sur l’Evènement de son Messie, son descendant : « Le Seigneur a dit à mon Seigneur : siège à ma droite, jusqu’à ce que j’aie mis tes ennemis dessous tes pieds » (Mt. 22,43/ Mc.. 12,35). En Luc : « jusqu’à ce que j’aie fait de tes ennemis un escabeau pour tes pieds (Lc. 20,43/ Heb. 1,13).  
C’est comme le signe que dans le combat du Christ contre ses ennemis, Dieu l’élève en abaissant ses ennemis. La question est de savoir comment le Christ abaisse ses ennemis.

II
Le chrétien doit-il comme les fils d’Israël désigner ses ennemis, les combattre et de quelle manière ?

Dieu dit au peuple à la sortie d’Egypte : … « Si tu fais tout ce que je te dirai, je serai l’ennemi de tes ennemis et l’adversaire de tes adversaires » (Ex. 23,22)… « Je vais chasser devant toi les Amorrhéens, les Cananéens… etc… ». Cependant ce sont les fils d’Israël qui combattront ces nations, comme si, pour chasser Canaan, Dieu avait brandi l’épée par le bras d’Israël[1]. Mais que signifie la conquête, par le glaive, d’un pays donné par serment à Abraham et à sa descendance et de surcroît, une terre qui a vomi ses habitants (Lev. 18,25)?     

Dans l’Ecriture, tout ce que Dieu donne à son peuple est réellement donné ; encore faut-il que soit pris et gardé ce qui a été donné. Le peuple gardera le pays sur lequel le regard de Dieu est constamment fixé, en pratiquant la Loi dans l’alliance avec Dieu qui le sépare, jalousement, de tout ce qui Lui est étranger (Dt. 11,10-12). Néanmoins, le peuple prendra possession de ce pays selon les usages d’ici-bas mais en le considérant pareil à un jardin clos séparé des nations comme par un glaive. Et puisque cette terre a vomi ses habitants cananéens devenus réfractaires à toute bénédiction divine, le ciel s’est fermé sur eux. C’est pourquoi Dieu peut dire qu’Il les a chassés devant son peuple. Il les a chassés de son regard en faveur du peuple choisi qui promet d’écouter sa Parole (Ex. 20,19/ 24,7/ Dt. 5, 27).

Cependant, dans la Bible, Dieu intervient Lui-même et se venge sévèrement de ses ennemis de chair et de sang qui lui font obstacle. C’est Lui qui fit pleuvoir les eaux du déluge, et sur Sodome et Gomorrhe, le souffre et le feu du ciel, anéantissant tous les habitants. Aux jours du veau d’or, Dieu dira : « ma colère va s’enflammer contre eux et je les exterminerai » (Ex.32,10). On apprend même que le peuple, lors d’un dur combat, fit ce marchandage avec Dieu : « si tu daignes livrer ce peuple entre mes mains, je vouerai ses villes à l’anathème ». Dieu écouta la voix d’Israël et livra les Cananéens » (Nbres. 21,2). Comment s’expliquer que le Dieu miséricordieux, le Dieu de toute la terre, soit à l’origine d’une telle forme de cruauté pour ses créatures ?

Observons tout d’abord que, dans cette prière, le peuple propose à Dieu, pour obtenir la victoire, de se priver du butin que toute conquête est sensée rapporter au vainqueur. Il décide de contraindre sa convoitise, de ne pas se ruer sur les richesses gratuites de son ennemi : femmes, esclaves, trésors. C’était la seule prière en acte qui pouvait gagner la faveur du Dieu qui presse Israël de découvrir qu’il est le peuple séparé. Dans ce contexte, le peuple montre qu’il commence à comprendre le renoncement auquel Dieu l’invite, c'est-à-dire, pour un combat sur lui-même qu’il ne perçoit pas encore dans toute sa vérité[2]. 

Deux formes de combat se présentent aux fils du peuple séparé des nations : d’une part, le combat par le glaive pour la conquête de la terre promise, dans l’affrontement avec les nations qui leur résistent, et d’autre part, le combat contre le pouvoir de séduction qu’exercent, sur eux, les croyances de ces nations païennes. Dieu alors, exigerait l’anathème comme seul recours, à défaut de vertu religieuse ; non pas contre les villes qu’ils traversent dans un périmètre éloigné du pays à conquérir, mais uniquement contre les villes proches de celles qu’ils occuperont, peuplées de Cananéens avec qui, fatalement, ils pourraient avoir un commerce régulier (Dt. 20,15-18). Pour ces villes-là, Dieu commande l’extermination totale : tous les hommes mais aussi les femmes qui pouvaient les contaminer, les enfants, et tous leurs biens, ce qui donnait au peuple la mesure de la gravité de ce commandement (il en coûtera à Saül de s’être abstenu de vouer le butin à l’anathème (1 Sam. 15,23). Il en coûtera aussi à Salomon à cause de ses femmes étrangères).

En Matthieu le Christ dit à ses interlocuteurs : « Vous avez entendu qu’il a été dit : tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi » (Mt.5,43). On remarque la forme impersonnelle employée. Or nulle part on ne trouve le précepte de haïr son ennemi[3]. Cette parole pourrait exprimer la forme dans laquelle le peuple pouvait avoir entendu, a interprété le précepte pour satisfaire la nécessité de la séparation d’avec les nations jugées impures et donc ennemies. 
  
Mais au temps révolu, lorsque le Verbe de Dieu sort de Dieu pour prendre chair d’Israël dans la descendance de David, ce Messie de Dieu, en nouveau Moïse, ordonne à ceux qui l’écoutent : « aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent, bénissez ceux qui vous maudissent » (Lc. 6,27+)[4]. Lui-même intercèdera  pour les pécheurs qui le crucifient : « Pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font » ; car Il est venu dans le règne d’Israël, en Rédempteur, pour sauver les hommes de la lèpre du péché, dans son combat contre les Puissances qui séparent l’homme de Dieu. C’est ce que l’Apôtre mettra en lumière : « Il a dépouillé les Principautés et les Puissances et les a données en spectacle à la face du monde… Dieu s’est plu à faire habiter en lui toute la plénitude et par lui à réconcilier tous les êtres en lui….(Col. 2,15/1,19). Ainsi, ceux qui marchent à la suite de ce vainqueur du monde diront : « Ce n’est pas contre des adversaires de sang et de chair que nous avons à lutter mais contre ….les régisseurs de ce monde de ténèbres, contre les esprits du mal …avec la vérité pour ceinture …(Eph. 6,12). 

On ne s’étonne pas que les versets imprécatoires des psaumes ne soient pas prononcés dans notre Eglise.

III
Pourquoi les psaumes imprécatoires ne sont-ils
 pas prononcés dans notre Eglise ?

Au psaume 109,  David prie Dieu d’exaucer les malédictions qu’il profère sur la  tête de son ennemi : « …Poste un méchant contre lui et qu’un accusateur se tienne à sa droite ! Que sa prière soit tenue pour péché ! Que ses enfants deviennent orphelins…qu’ils mendient et qu’on les chasse…qu’en une génération son nom soit effacé ! Qu’on se souvienne de la faute de ses pères… il aimait la malédiction qu’elle vienne sur lui ».

Pour garder l’alliance avec Dieu, le fils d’Israël  devra s’efforcer  de satisfaire le commandement qui lui est souvent rappelé : « tu balaieras le mal de chez toi » (Dt. 23,6/ 17,7/ 19,19…). Il convient donc que, selon la Loi de Moïse, celui qui transgresse l’interdiction, entraînant la mort, soit lapidé. Mais dans l’Eglise, pas de commandement qui mène à la mort. A la femme adultère le Christ dira : « …moi non plus je ne te condamne pas… » (Jn.8,11)[5]. Lorsque Pierre demande à Jésus combien de fois devra-t-il pardonner à son frère Jésus répond : « Je ne te dis pas jusqu’à sept fois, mais soixante dix sept fois » (Mt. 18,21+). Il n’est donc pas surprenant que, dans notre Eglise, les versets imprécatoires des psaumes soient mis entre crochets pour prévenir de ne pas les prononcer, ou encore, soient tout simplement effacés.

Cependant, Jésus enseignant ses disciples leur dira : « N’allez pas croire que je sois venu abolir la Loi et les Prophètes…Je ne suis pas venu abolir mais accomplir….pas un i,  pas un point sur l’i, ne passera de la Loi, que tout ne soit réalisé (Mt.5,18)… « Il faut que s’accomplisse tout ce qui est écrit de moi dans la Loi de Moïse, les prophètes et les psaumes » (Lc. 24,44). Cela concerne le Juif qui, sans le savoir, dans son observance, justifie son Messie qui, comme tout fils d’Israël, a observé la Loi et chanté les psaumes de David. Cela concerne le baptisé acquis au Christ, son Sauveur, qui a pratiqué et accompli la Loi jusqu’au plus petit iota, les prophètes, et les psaumes, dans l’offrande de son sacrifice, face de ses adversaires. A ceux-là qui ont médité sa mort, Jésus déclare, sans la moindre ambiguïté : "Vous êtes du diable votre père, et ce sont les désirs de votre père que vous voulez accomplir" (Jn. 8,44). Ceux qui sont assujettis à l’influence de la bête, portent, ici, son image comme celle d’un père spirituel ennemi de Dieu, soufflant sur les pulsions charnelles et réductrices de l’homme, lui faisant produire les œuvres mortes qui séparent de Dieu[6]. Or, dès le jardin d’Eden, Dieu annonce à Satan cette filiation spirituelle : « Je mettrai l’hostilité entre toi et la femme, entre ta descendance et sa descendance », c'est-à-dire, entre la descendance du Diable et celle de la femme qui visera la bête à la tête (Gn.3,15).

Comment alors les enfants de l’Eglise pourraient-ils occulter ces malédictions que le Christ exauce dans son combat contre le père du mensonge ? Oui ! « Que Dieu poste un accusateur contre cet ennemi ! Que ses désirs soient tenus pour péché ! Que ses descendants soient orphelins, enfin libérés de cette paternité ! Qu’en une génération son nom soit effacé en beaucoup de cœurs ! Il aimait la malédiction, qu’elle vienne sur lui !». Le Christ pouvait bien chanter les psaumes avec ses frères, puisque, selon le Docteur commun de l’Eglise les psaumes sont toute la Loi, les prophètes et le Nouveau testament, sous le mode prière.

 Le Christ dira : « Je ne suis pas venue apporter la Paix, mais le glaive » (Mt.10,34).  « …C’est (dira-t-Il) ma paix que je vous donne ; je ne vous la donne pas comme le monde la donne (Jn. 14,27), c'est-à-dire, comme celle que recherche le désir de l’humain. La Paix du Christ provoque la division au sein des familles, entre les familles religieuses, entre celles qui, sous des traditions différentes, proclament la même foi. Le glaive de Dieu, la Parole sortie de la bouche du Christ et reçue dans l’Esprit Saint, sera l’arme des disciples qui, de ce fait, seront haïs de tous. 

Evoquant la haine que fait naître la séparation entre Israël et l’Eglise, le Christ dit à ses disciples : « Quand on vous persécutera dans une ville fuyez dans une autre. Je vous le dis en vérité, vous n’aurez pas achevé de parcourir les villes d’Israël, que le Fils de l’homme viendra » (Mt.10,23). On perçoit la forme de la mission que le Christ propose à ses disciples auprès du peuple élu, malgré l’hostilité, et donc l’aversion qu’elle fera naître d’un côté comme de l’autre. Sans relâche les disciples du Christ devront donc annoncer, aux fils d’Israël, la bonne nouvelle de leur Messie. Alors, au cours de son histoire, l’Eglise, au contact de ce peuple longtemps perçu comme l’ennemi ancestral, discernera mieux, selon l’enseignement de l’Apôtre, sa propre racine. On perçoit aussi la règle de conduite que dicte Jésus aux disciples : ne pas tenir tête à l’ennemi déclaré tel (Mt.5,39) ; mais s’efforcer de le connaître tout en se dérobant à ses mauvais desseins.

Loin de commander à ses disciples de prendre les armes contre ceux qui tuent, le Christ dira : « Tous ceux qui prennent le glaive périront par le glaive » (Jn.18,10). Ils périront par l’esprit du glaive de ce monde-ci, l’esprit charnel qui ne mène pas à la vie, s’ils persistent dans cet esprit. Car le glaive d’acier, n’est d’aucun secours pour conquérir la nouvelle terre sous les nouveaux cieux de la nouvelle Patrie. Cependant, le chrétien, selon le Docteur commun de l’Eglise a le devoir de secourir toute personne persécutée, en danger de mort. Cela concerne la casuistique chrétienne envers tout sujet de l’Eglise qui, dans son pays, est aussi sujet de l’Etat qui le gouverne, fidèle aux règles de la guerre en ce monde.  

Mais lorsque, pour des raisons idéologiques ou religieuses, l’Eglise est attaquée, persécutée, tout montre que l’arme décisive est dans la Vérité : la Vérité que le Christ a proclamée, la vérité sur l’adversaire… La Vérité proclamée sur les toits est ce qui fait trembler les Puissances et réveille la conscience des gens tétanisés par la peur. On se souvient de l’effet magique des mots proclamés par Jean Paul II : « N’ayez pas peur ! ». Et voilà que le mur de Berlin s’écroulait. Il en coûte encore à l’Eglise, qui, craignant pour elle, a choisi de garder le silence pendant le temps des phénomènes idéologiques meurtriers qui ont tué des millions de Juifs et des millions de chrétiens[7].

Il nous reste encore à réfléchir sur la question de savoir : comment l’Eglise répond au commandement d’aimer ses ennemis ; comment les chrétiens font-ils du bien à ceux qui les haïssent, ceux sous l’emprise de l’esprit du mal ? Selon l’enseignement de l’Eglise, tout baptisé nourri de l’Eucharistie dans la foi des apôtres, confirme son baptême qui le fait mourir dans la mort du Christ et renaître dans sa résurrection. Ainsi identifié à son Rédempteur, tout disciple permet donc de renouveler, d’âge en âge, dans l’Eglise, la Parole du Crucifié victorieux qui a tout accompli : « pardonne leur ils ne savent pas ce qu’ils font ». Dès lors, tout baptisé, assisté de la force spirituelle des Saints qui offrent leur vie pour le salut du monde, est donc, dans l’Eglise, à la suite des apôtres, un pécheur d’homme . 


[1] Quand Dieu par Moïse envoie son peuple conquérir la terre promise, il s’adresse à l’homme plein d’appétit profane pour les dépouilles de ceux que Dieu, pour des raisons religieuses, traite comme des ennemis. Cet homme, de même qu’en tout lieu en ce monde, n’a confiance qu’en sa force au bout de son épée. Il tient davantage à ce qu’il acquiert par lui-même, surtout si c’est au prix de beaucoup de souffrance et d’effort. Sans doute Dieu a-t-il prévu qu’à long terme, il sera très salutaire pour les fils d’Israël de se prévaloir de cet exploit, de le garder jalousement en mémoire. Car ils devront découvrir qu’en ce combat pour la conquête de la terre promise se profile la figure du combat annoncé dès l’origine, combat dans lequel Dieu est avec l’homme pour affronter les forces du mal. 
[2] Cet anathème est pour le peuple un grand sacrifice. Il tuera tous les habitants sans exception jusqu’au bétail et brûlera leurs réserves. Cela lui sera compté comme la manifestation de son consentement à la volonté divine de séparer son peuple des nations jugées impures. Dieu prescrit l’anathème afin, dit Dieu : «  qu’ils ne vous apprennent pas toutes les abominations qu’ils font… ». Ces massacres impitoyables commandés par Dieu sont donc une nécessité en raison de la faiblesse du peuple sur lequel Dieu porte les yeux. En outre, si les nations alentour, sous l’effet du ressentiment, leur vouent une détestation tenace, cela les protège de toute relation de confiance et garantit la séparation recommandée .   
[3]Au livre du Lévitique on lit : «Tu ne réclameras pas la mort de ton prochain … Tu ne haïras pas ton frère dans ton cœur» (Lev.19,17-18). 
[4] Jésus donne un commandement nouveau : « aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés »
[5] Observons que dans cette scène, on a voulu mettre Jésus à l’épreuve. Les docteurs de la Loi s’attendaient à ce que Jésus s’oppose à la Loi. Or, sur la Parole du Christ, les hommes munis d’une pierre, loin de s’empresser, selon le précepte, de la jeter sur la femme, s’éloignèrent d’elle plutôt honteux…
[6] Le reproche cuisant du Christ sur la tête de l’apôtre Pierre met en lumière le jeu souterrain de cet adversaire. Lorsqu’Adam et Eve auront, eux, depuis longtemps disparu, Satan, non soumis au temps, sera encore là, faisant peser, de génération en génération, son redoutable joug.  
[7] On sait que l’Eglise est venue au secours de ses frères Juifs et en a sauvé beaucoup en les cachant.

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