Pour raconter Jésus, les premiers Juifs qui crurent
en lui utilisèrent le langage qui jusque-là leur servait à raconter Dieu.
1. Tout homme naît dans une culture et une tradition données. C’est
un trait de la condition humaine que Dieu, s’Il choisit de s’incarner en un
homme, doit partager. L’incarnation n’est pas une abstraction : en Jésus,
le Verbe s’est fait homme à une époque et dans une tradition précises. Plus
précisément : Dieu s’est fait Juif. Jésus a vécu en bon fils
d’Israël.
▪ « En
Jésus, Dieu ne s’est pas seulement fait homme, il s’est fait juif »
(Marcel Dubois) Le mystère de l’Incarnation n’est pas une
abstraction. Dieu a voulu visiter l’ensemble de l’humanité à travers une
culture donnée, à une période précise : celles du judaïsme dit « du
second Temple ». Comme aimait à le dire un pionnier en relations
israélo-chrétiennes, le Père Marcel Dubois : « en Jésus, Dieu ne
s’est pas seulement fait homme : il s’est fait juif ».
▪ L’Incarnation n’est
pas une espèce de principe cosmo-planétaire abstrait selon lequel le Verbe
serait entré en contact avec l’humanité, et qui justifierait qu’on le représentât
comme un africain, un asiatique ou un européen indifféremment. D’un certain
point de vue théologique, on peut avoir raison de le faire, pour exprimer le
fait qu’il est bien le Sauveur de toute l’humanité. Mais la vérité
historique, c’est que Jésus de Nazareth est un sémite, juif dans la Palestine
juive du 1er siècle.
Il est très important de le rappeler à l’heure de la
mondialisation, car s’incarner c’est vivre la condition humaine dans toutes ses
dimensions
Or une des dimensions de la condition humaine consiste à
être situé dans une culture précise, dans un héritage singulier, dans une
tradition bien enracinée. La culture que Dieu, souverainement, a élue pour
venir nous visiter, c’est celle du peuple juif. Il y a là une pure
« grâce », un choix incontestable parce que c’est le choix de Dieu.
Jésus
a vécu en bon fils d’Israël
. Tel que nous le font connaître les évangiles,
comme tout homme Jésus connaît la faim (Matthieu 4,2), la soif (Jean 4), la
fatigue (Jean 4,6), la fête villageoise (Jean 2), la joie (Luc 10,17-21) la
tristesse et les larmes (Jean 11,35 ; Luc 19,41), le triomphe (Marc
11,1-11), l’angoisse (Marc 14,33), la douleur… Comme tout juif, il est
circoncis le huitième jour, grandit en bon petit garçon juif (cf. Luc
2,40), soumis à ses parents (Luc 2,51). Joseph, son père adoptif, artisan, lui
inculque les rudiments de la Tora et les principes rituels du pur et de
l’impur au moins ceux qui sont liés aux travaux du bâtiment (charpentes) ou de
l’agriculture (charrues et autres instruments). Myriam sa mère anime sans doute
les prières domestiques. Il assiste aux prières communautaires à la synagogue
(Luc 4,16 : « suivant sa coutume »). Il monte à Jérusalem pour
les grandes fêtes de pèlerinage, avec ses parents quand il est petit (Luc
2,42), et entouré de ses disciples plus tard (Matthieu 20,18 ; Jean 2,13).
Il porte peut-être les franges rituelles (Matthieu 9,20), respecte les
sacrifices (Luc 2,24), les prêtres (Marc 1,44 ; Luc 5,14) et le Temple dont
il défend même la sainteté (Jean 2,16). Il vient avant tout pour les brebis
perdues de la maison d’Israël (Matthieu 10,6 ; 15,24) et annonce un
accomplissement de la Tora en ses moindres détails (Matthieu 5,18)…
2. Dieu manifesta progressivement son identité (ce qu’on appelle la
« révélation ») à travers la culture du peuple qu’il se choisit, au
fil des siècles où se constituèrent les Écritures, le culte et la culture
d’Israël. Dans cet ensemble symbolique de récits, de préceptes et de rites,
Dieu préparait en quelque sorte la « grammaire» avec laquelle il
pourrait révéler pleinement son mystère.
▪ En vue du
jour où il se ferait homme par l’incarnation, Dieu, affirme Paul, « a
choisi » le peuple juif Il a fait vivre à son peuple de
multiples expériences historiques, mystiques, individuelles, collectives. Il
les lui a fait recueillir, mémoriser et célébrer dans une littérature (les
« Écritures »), et une liturgie sacrées, ainsi que dans des lois (les
« commandements ») qui finirent par encadrer toute la vie quotidienne
des Juifs. A l’intérieur du Peuple juif, Dieu développa donc un dispositif
culturel, au long des siècles de l’Alliance vécue.
Dieu a constitué en
Israël la « grammaire » dont il allait se servir pour se révéler
pleinement
Au 1er siècle, la culture juive avec ses Écritures singulières,
prophéties, vieilles chroniques, lois, poèmes, épopées, récits circonstanciés,
contes édifiants, avec sa liturgie aux rituels énigmatiques forme un ensemble
symbolique qui constituait en quelque sorte la grammaire, l’alphabet, le
langage, les symboles dont Dieu allait se servir pour se révéler pleinement.
▪ Entendons
bien : il ne s’agit pas de dire que Dieu parle l’hébreu ! Il s’agit
de comprendre, par exemple, que pour déployer le mystère de son amour
inconditionnel, il lui fallut des histoires aussi terribles et pathétiques que
celle d’Abraham (qui s’imagine que son Dieu veut qu’il sacrifie son
fils) ; des histoires aussi joyeuses que des naissances miraculeuses qui
remplissent tout le monde d’admiration, comme celle de Samuel ; des
histoires à la fois tragiques et merveilleuses comme celle de Joseph trahi par
ses frères mais qui finalement les sauve parce que la destinée conduite par
Dieu l’a placé à la tête du domaine de Pharaon en Égypte. Il faut le sacrifice
de l’Agneau et les traces de sang sur les linteaux à Pâques, l’expiation de Yom
Kippour ou la fête du don de la Tora à la Pentecôte…
C’est un peu comme si
Dieu avait élaboré une boite à outils, comme s’Il avait préparé les matériaux
pour faire (comprendre) son intervention ultime et son chef d’œuvre : son
incarnation
Lorsque tout fut prêt, il vint lui-même mobiliser, condenser,
unifier tout ce langage symbolique : dans son « signe » parfait,
Jésus de Nazareth.
3. La révélation historique du Dieu vivant était nécessaire, car
sans elle, l’être humain n’a de Dieu qu’une image très déformée et vit
prisonnier de préjugés sur ce qui est ou n’est pas « divin ». Même si
nous n’en sommes pas conscients, nous rêvons tous d’un Dieu écrasant qui nous
libérerait de notre liberté et de l’effort qu’elle nous demande pour être bons.
Or c’est au contraire le « Dieu vivant», « le Dieu d’Abraham,
d’Isaac et de Jacob » que Jésus vient manifester, et non pas une déité
abstraite ou concrète issue de l’imagination ou de la frustration humaines.
▪ Quand le
chrétien dit « Jésus est Dieu », il dit quelque chose de vrai, et en
même temps d’impossible à comprendre tout à fait… justement parce qu’il s’agit de
Dieu ! Dire « Jésus est le Verbe divin fait homme »,
ce n’est pas affirmer une vérité qui s’imposerait d’emblée à tous : c’est
condenser en quelques mots la question la plus profonde que Jésus oblige
tout le monde à se poser, les amis comme les adversaires : « Et
vous, que dites-vous ? Pour vous, qui suis-je ? » (Matthieu
16,15). C’est énoncer ce que la tradition théologique appelle le
« mystère ». Le Christ s’est présenté comme un mystère que Dieu
révèle à ceux qu’il veut, aux humbles, à ceux qui l’aiment et donc le cherchent
sans penser jamais le posséder.
Le mot « Dieu » a en effet
bien des significations, selon les diverses cultures du monde ou les périodes
de l’histoire.
On peut dire de beaucoup de systèmes religieux
qu’« ils ont du zèle pour Dieu, mais c’est un zèle mal éclairé »
(Romains 10,2). Il suffit d’observer les violences « religieuses »
dans le monde d’aujourd’hui et dans notre propre pays pour constater que la
notion de Dieu est ambiguë en dehors de la révélation, et toujours menacée même
chez ceux qui bénéficient de celle-ci.
Même si nous n’en sommes pas
conscients, nous rêvons tous d’un Dieu écrasant qui nous libérerait de notre
liberté et de l’effort qu’elle nous demande pour être bons.
Pour l’être
humain pécheur, l’homme historique que nous connaissons, Dieu semble être avant
tout « la plus grosse chose imaginable », une superpuissance qui
dominerait tout, un pouvoir absolu capable de tout écraser. Une force
incontrôlable génératrice de mal comme de bien, car au-delà de tout. Bref,
l’homme plaque sur « Dieu » ses fantasmes de domination.
La
persistance et la puissance de cette caricature a une cause morale profonde.
C’est que la liberté, la possibilité de faire des choix moraux, est lourde à
supporter quand on commet le mal
. Les remords de la conscience sont
pénibles : l’homme aspire à être délivré de sa propre liberté !
(Comme le disait Baudelaire en deux alexandrins des Fleurs du Mal
: « je jalouse le sort des plus vils animaux |qui peuvent se plonger dans
un sommeil stupide »). Spontanément l’homme pécheur aspire à être
débarrassé de cette liberté et s’invente un Dieu qui s’imposerait à lui avec
tout le poids de la fatalité.
Il fallut des siècles au vrai Dieu
pour se révéler
. Le Dieu vivant, celui qui se manifeste dans la
culture du peuple qu’il s’est choisi, pour conduire ses prophètes, et ceux qui
voulurent bien les écouter, de cette vision fruste du Dieu des armées, du
tonnerre, de la terreur létale, à la rencontre du véritable Dieu qui fait
alliance, qui est juste, miséricordieux, Dieu du fin silence, vivant et
vivifiant, qui appelle l’homme à grandir depuis les tréfonds de sa conscience.
C’est bien le « Dieu vivant », « le Dieu d’Abraham, d’Isaac
et de Jacob » que Jésus vient manifester, et non pas une déité abstraite
ni une idole concrète issue de l’imagination ou de la frustration humaines
.
Pour comprendre qui est Jésus et découvrir son mystère (cf. Éphésiens
3,9), il est donc indispensable de passer par sa culture juive imprégnée, par
un prophétisme multiséculaire. En effet ce n’est ni Jupiter, ni Odin, ni
Quetzalcoatl, ni aucune divinité forgée par l’imaginaire humain, qui s’est
incarnée en Jésus. C’est le Dieu vivant d’Abraham, d’Isaac et de Jacob,
l’Unique au Nom imprononçable, Yhwh, à la fois Dieu des armées (« Adonaï Sabaoth »)
et celui qui prend soin des plus faibles, qui regarde les cœurs abattus (Psaume
34,19 ; Psaume 147,3).
4. La divinité de Jésus Christ n’était pas être une idée claire et
distincte accessible à la raison. Elle dépasse tout ce que l’homme peut
imaginer : Dieu aime tant l’homme qu’Il se fait homme ! Jésus dut
donc suggérer sa divinité progressivement.
▪ Jésus ne
pouvait manifester sa divinité que de manière indirecte Il ne
pouvait le faire de manière directe parce qu’il suggérait 1°/ qu’il était non
seulement Dieu (en général, tel que tout un chacun peut l’imaginer) mais
surtout 2°/ ce Dieu (celui qu’Israël avait appris à connaître).
1°/
Jésus ne pouvait arriver en disant : « Me voici, je suis Dieu,
croyez-moi ! »
Jésus suggérait qu’il était Dieu. Faisons un peu
de théologie-fiction. Essayons de nous représenter le Bon Dieu en Jésus, aux
jours de sa chair. Sa tâche n’était pas facile, il ne pouvait pas arriver en
disant : « - Me voici, je suis Dieu, croyez-moi ! »
Quiconque dirait cela aujourd’hui, on l’internerait. Dans la culture de Jésus,
on prenait des pierres pour lapider les blasphémateurs. L’accusation de
blasphème venait de l’image de Dieu que l’on avait : le « tout
puissant » fantasmé par un peuple sous le joug de ses occupants ne saurait
s’abaisser à l’humble condition d’avoir à exercer le métier d’homme !
(Jean 10,33) Bref, comme on le voit dans tous les passages où l’on cherche à le
« piéger en paroles » (par exemple Luc 11,54 ; Marc 12,13-14),
d’une certaine manière, Jésus devait ET parler ET se taire, ne pas en dire
trop.
2°/ Jésus ne voulait pas s’imposer mais se proposer
Jésus devait
révéler ce Dieu-ci : le Dieu des poètes-prophètes de la
Genèse qui crée l’homme à son image, doté d’une conscience —libre ! Celui
qui se révèle depuis « le commencement » veut se faire connaitre et
aimer librement par ces animaux spirituels qu’il a créés. Si Dieu était, trop
humainement, le despote transcendant régnant sur l’univers, il n’aurait qu’à
détruire sa création et la recommencer comme bon lui semblerait. Mais le Dieu
de Jésus est tout sauf cette idole née de la volonté de puissance. Ce Dieu ne
veut pas s’imposer, mais se proposer.
Jésus voulait se faire
connaître : il a donc du parler, faire usage du langage humain
Or le
drame est que ce langage est asservi au mensonge, à la violence. Jésus doit
donc parler avec nos mots pour Se dire, Lui qui est au-delà de tout mot, sans
en dire trop non plus, s’il veut qu’on l’écoute et qu’on ne se scandalise
pas aussitôt. C’est émouvant dans les évangiles : Jésus montre une forme
d’impatience chez (Matthieu 11,25 : « Je te bénis Père… » Luc
22,15 : « J’ai ardemment désiré… »), et en même temps de
réticence (Matthieu 17,9 « Il leur interdit de dire… ») qui culmine
dans l’impressionnant silence de la Passion.
Bref, pour faire connaître son
Père et pour se faire connaître lui-même, Jésus doit à la fois se montrer et se
cacher
. En paroles et en actes, il veut interpeller vivement ses
interlocuteurs, dans l’espoir que certains comprendront l’œuvre si
attendue et tellement inattendue qu’Il vient réaliser : renouveler toute la
création en passant par la liberté des hommes à qui Il l’a confiée ! C’est
pourquoi, après la mort du Christ en Croix, qui révèlera son Cœur transpercé et
sa soif d’amour et de foi, le Nouveau Testament conclura logiquement :
« Dieu est amour » (1 Jean 4,16). Or une telle révélation aurait été
impossible sans la matrice juive où elle se déploya.
5. Jésus a dévoilé son mystère en mobilisant les mots et les
gestes de la culture d’Israël : il dit ce que Dieu seul, dans cette
culture, peut dire. Il fait ce que Dieu seul, dans cette culture, peut
faire : par exemple il reprend à son compte la frontière fondamentale tracée
par Dieu entre le pur et l’impur depuis la Genèse … mais pour en inverser le
fonctionnement : avec lui, c’est le pur qui devient contagieux.
▪ Les
évangélistes attribuent à Jésus un certain nombre de paroles que seul,
normalement, le personnage de Dieu pouvait faire dans la mémoire vive
d’Israël au 1er siècle. En voici quelques exemples.
▪ - Il
prononce des paroles de pardon des péchés, qui offensent Dieu (Marc 2,10 ;
Matthieu 9,5 ; Luc 7,48)
▪ - Il
commande à la maladie, aux démons (Marc 1,27), au vent et à la mer avec
l’autorité et la puissance du Créateur : « Qui donc est-il pour que même
le vent et la mer lui obéissent ? » (Matthieu 4,41).
▪ - Dans
enseignement, Jésus ose non seulement commenter les Écritures, comme
faisaient d’autres sages juifs de son époque, mais carrément il les
re-promulgue à son propre compte. Ce ne sera pas seulement « Moïse vous a
dit » et voici comment il faut comprendre Moïse parce que tel autre nous a
dit ceci et tel autre cela, mais c’est « vous avez entendu qu’il a été dit, et
moi je vous dis » (Matthieu 5,21). Plus fort encore : « Tout
pouvoir m’a été donné » (Matthieu 28,18) ; « Le Ciel et la terre
passeront, mais mes paroles ne passeront pas » (Matthieu 24,35).
▪ - Il
parle de son intimité avec Dieu en des termes encore plus intimes que Jérémie
qui avait déjà scandalisé en son temps : il l’appelle « Abba »,
Père (Marc 14,36), affirme venir d’auprès de lui (Jean 9,16 ; 16,27),
aller vers lui (Jean 1,18), être en lui (Jean 14,10 ; 10,30).
▪ - Plus
spectaculairement encore, il use du nom divin révélé à Moïse « Je suis qui
je suis » (Exode 3,14) comme du sien propre avec des variations :
« Je suis doux et humble de cœur » (Matthieu 11,29), « Je suis
le Pain de Vie » (Jean 6,35 ; 6,48 ; 6,51), « Je suis la
Lumière du monde » (Jean 8,12 ; 9,5), « Je suis la Porte des
brebis » (Jean 10,7 ; 10,9), « Je suis le bon Pasteur »
(Jean 10,11 ; 10,14), « Je suis la Résurrection » (Jean 11,25),
« Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie » (Jean 14,6), « Je
suis la Vigne véritable et mon Père est le vigneron » (Jean 15,1), « Je
suis le Roi des juifs » (Jean 18,37), « Je suis le Premier et le
Dernier, le Vivant » (Apocalypse 1,17). Ou encore : « Si vous ne
croyez pas que Je suis, vous mourrez dans vos péchés » (Jean 8,44)
« afin que vous croyiez que je suis » (Jean 13,19), « Quand vous
m’aurez élevé de terre, vous saurez que Je suis ».
▪ - Du
coup, Jésus finit par énoncer des exigences à son égard que seul Dieu peut
avoir, comme de sacrifier tout pour le suivre ; il affirme que le salut
des hommes dépend de leur attitude envers lui : « Qui aura perdu sa vie à
cause de moi la trouvera » (Matthieu 10,39).
▪ La
prétention de Jésus à une autorité exorbitante pour un simple homme dans la
culture juive qui est la sienne, traverse tout son ministère non seulement en
parole, mais aussi en actes.
Jésus fait ce que Dieu seul peut faire :
par exemple, il inverse le fonctionnement de la frontière fondamentale tracée
par Dieu entre le pur et l’impur depuis la Genèse. Avec lui, c’est le pur qui
devient contagieux !
On caricature souvent le judaïsme comme une
religion obsédée par la séparation du pur et de l’impur, par le maintien de
frontières entre le sacré et le profane, dont les ghettos anciens des Juifs en
Europe seraient les symboles. En réalité, c’est la vision du monde suscitée par
les Écritures elles-mêmes : lorsque Dieu intervient, c’est pour mettre de
l’ordre. Dès la première page de la Genèse, il sépare la lumière des ténèbres,
le sec de l’humide, les hommes et les animaux, l’homme et la femme, puis ce
seront le peuple d’Israël par rapport aux autres peuples, la tribu de Lévi par
rapport à toutes les autres, les prêtres et les autres lévites… Bref, Dieu se
manifeste en séparant : pour que ce qui est bon ne soit pas contaminé par
ce qui est mauvais, pour préserver le pur contre l’impur, ce qui est sain
contre la maladie, et finalement pour préserver la vie de la contagion de la
mort. Par les règles de pureté, Dieu empêche que la maladie, le péché ou la
mort soient vainqueurs. C’est pour cela que la Loi contient tant de
recommandations et d’exigences de séparation radicale entre les malades et les
bien-portants, les pécheurs publics et le reste de la communauté, etc.
On
imagine quelquefois grossièrement que Jésus serait venu nous libérer de tout
cela. En réalité, l’œuvre de Jésus est bien plus subtile : il n’abolit
rien, il accomplit
. Juif pieux, Jésus ne mélange pas tout et conserve
évidemment la frontière entre pur et impur, entre le sacré et le profane.
Simplement, Il la fait fonctionner en sens inverse : avec lui, ce n’est
plus l’impureté qui risque d’être contagieuse, c’est la pureté se transmet à ce
qu’elle touche !
▪ Dans
plusieurs récits de guérisons, les évangélistes le soulignent par un effet de
« zoom » cinématographique : face à tel lépreux, dont il faudrait se
tenir à distance pour éviter la contagion de l’impureté, Jésus « étend la
main » et « touche » le lépreux en lui annonçant sa guérison
(Luc 5,13 ; Marc 1,41 ; Matthieu 8,3) ; un peu partout, il
partage ses repas avec des pécheurs qu’il aurait fallu, selon
l’interprétation habituelle des règles de pureté, maintenir à distance.
La
« révolution » de Jésus fait tout fonctionner en sens inverse
. Autrement
dit, et c’est là le retournement total, la « révolution » religieuse
de Jésus au sens strict : il reprend tout le langage et toutes les
frontières du pur et de l’impur, du sacré et du profane, de la sainteté et du
péché, il maintient la Loi, mais il les fait fonctionner en sens inverse. Par
Jésus, santé, sainteté et vie deviennent contagieuses. Cette subversion de la
mort par la vie et du péché par la sainteté culmine bien sûr dans le
franchissement par Jésus de l’ultime frontière, celle de la mort, par sa
résurrection, qui est au cœur de la confession de foi chrétienne.
6. Il manifeste par là une autorité stupéfiante - en
fait : divine. Son autorité est telle que le nom de Jésus va jusqu’à
remplacer le nom de Dieu dans les exorcismes.
▪ La
question de l’autorité est brûlante dans le judaïsme de l’époque de
Jésus. À l’époque, dite « du Second Temple », tous les Juifs
partagent un tronc commun (en gros : le temple et la Tora), mais ils ne
sont pas d’accord sur son interprétation. Par exemple, quel est le bon
calendrier liturgique, celui du Temple ou celui de Qumran ? Qui
a autorité pour enseigner, les prêtres au temple ou les laïcs, les maîtres
pharisiens, dans la vie quotidienne ? Quels livres, au-delà de la Tora,
font-ils partie des Écritures saintes ? Le seul texte juif sur Jésus de
l’époque du Nouveau Testament, ne provenant pas de milieux chrétiens, un
passage des Antiquités juives (18.63-64) de Flavius Josèphe, le grand
historien juif du 1er siècle, décrit Jésus comme un personnage en qui se
déploya une puissance hors-normes.
Jésus affirme une grande autorité sur
les rites (maître du sabbat, Marc 2,28), sur Loi (Matthieu 5,21) voire sur le
Temple (Matthieu 12,6) !
Pour reprendre notre exemple précis, dans ce
contexte d’autorités en compétition, l’enseignement de Jésus sur le pur et
l’impur est d’une prétention incroyable. En inversant le mouvement aux
frontières traditionnelles de la religion révélée, ce jeune Juif de Nazareth
s’arroge une autorité sur un domaine qui ne relève que de Dieu ! Pour la
mentalité juive traditionnelle, c’est scandaleux : Jésus apparait comme
celui qui fait exactement l’inverse de l’œuvre de Dieu, ou comme celui
qui défait l’œuvre de Dieu —bref comme « le diable » ! Les
évangiles gardent le souvenir de ce scandale, dans la diabolisation réciproque
du juif Jésus et des autres juifs dans les évangiles : « c’est par
Beelzéboul que tu expulses les démons » (Marc 3,22) disent les uns
—« vous êtes les fils du diable votre père » (Jean 8,44) répond
l’autre.
Telle était l’alternative dans laquelle le juif Jésus plaçait les
autres Juifs : soit c’était un suppôt du diable qui subvertissait l’œuvre
divine, soit c’était Dieu lui-même qui ré-intervenait dans le monde.
Paul
de Tarse, Juif et disciple de Jésus, fut inspiré pour échapper à cette
contradiction : il comprit qu’en fait, en Jésus, Dieu reprenait son acte
créateur à la base, en lui rendant sa logique originaire – il faisait rien
moins qu’une « création nouvelle » (2 Co 5,17) ! Le même
qui avait établi au commencement les frontières entre le pur et l’impur, le
même apprenait que, désormais, c’était la vie, la sainteté, la santé qui
étaient contagieuses. Le créateur se faisait recréateur. Il faut le souligner,
c’est une révolution religieuse qu’on ne comprend que dans le cadre des
Écritures hébraïques et des rites du judaïsme ! En dehors de cette culture
juive qui prend très au sérieux l’organisation religieuse du monde, on ne
comprend pas où est vraiment l’originalité de l’œuvre de Jésus.
Cette
autorité est telle que le nom de Jésus va jusqu’à remplacer le nom de Dieu dans
les exorcismes !
Comprenons bien : ce n’est pas le fait que
Jésus fasse des miracles ou des exorcismes qui fait dire qu’il est Dieu.
D’autres font des miracles et des exorcismes. Le fait qu’il y avait de nombreux
thaumaturges et guérisseurs dans le peuple juif de l’époque est bien avéré, par
exemple dans des manuscrits de Qumran. C’est l’autorité avec laquelle
Jésus guérit ou exorcise qui est unique. Élie, par exemple, avait ressuscité le
fils de la veuve de Sarepta en priant Dieu : « Seigneur mon Dieu, je t’en
prie fais revenir en lui-même l’âme de cet enfant » (1 Rois
17, 8-24). Et Dieu l’avait exaucé. Or dans un épisode parallèle Jésus
ressuscite lui-même le fils de la veuve de Naïm: il ne prie pas Dieu mais dit
en son propre nom, avec l’autorité de Dieu : « Jeune homme, je te le
dis, lève-toi ! » (Luc 7, 11-17) .
Il existe aujourd’hui
encore des exorcismes dans les trois grands monothéismes, mais leur formule
« au nom du grand Dieu » est restée stable pendant des millénaires.
Depuis
Babylone jusqu’à l’Islam contemporain, on chasse les démons « au nom du
grand Dieu » (« Bismillah » en Islam / « Beshem
Adonaï » dans le judaïsme). Or, malgré une telle stabilité, la seule
communauté qui ait osé changer la formule, c’est le christianisme, où l’on
exorcise non pas « au nom du grand Dieu », mais… « au nom de
Jésus » !
Cette substitution du nom de Jésus à celui de Dieu
est impressionnante.
Étant donnée la fixité millénaire de la formule, il
est historiquement invraisemblable que de simples hommes, fussent-ils les
Apôtres, se soient autorisé un tel changement. Un tel changement dans la
formule d’exorcisme ne peut s’expliquer que par le déploiement, dans
l’histoire, d’une autorité extraordinaire. Et de fait, les évangiles le font
remonter à Jésus lui-même. Quand il expulsait les démons, au lieu de dire
« au nom de Dieu » il disait « Je » ! Et pour que les
disciples aient continué à exorciser « au nom de Jésus », il a fallu
qu’ils constatent un déploiement d’autorité tangible dans leur histoire
elle-même. Qu’ils constatent que le recours au nom de Jésus, cela
« marchait » (cf. Actes 3,6).
7. C’est cette autorité divine qui est reconnue dans la vie des
premières communautés (juives) qui crurent en Jésus au point de l’intégrer dans
l’adoration due seulement à l’Unique. La foi au Christ fut d’abord une « ortho-praxie »
(pratique droite), avant de devenir une « ortho-doxie » (enseignement
droit).
▪ Dans le
contexte juif, Jésus ne peut pas être un simple homme que l’on aurait divinisé
après coup. Si Jésus est juif et si toute l’histoire de la
révélation, y compris la première Église, est juive, Jésus n’est pas un homme
dont on a fait un Dieu. Imagine-t-on vraiment des Juifs du premier siècle
pratiquant sur leur rabbi une sorte d’apothéose païenne ? Un tel
mouvement, pure idolâtrie, inspire l’horreur. Jésus n’aurait jamais été reconnu
par certains comme « Dieu parmi nous », ou Emmanuel.
Or c’est un
fait établi que les disciples de Jésus, très tôt et en contexte juif,
vénérèrent Jésus comme divin (cf. He 1,10).
Que l’on songe à certaines
expressions des hymnes primitives citées par Paul dans ses lettres, donc
antérieures aux années 50 : Jésus est l’« l'image du Dieu
invisible » dans sa lettre aux Colossiens, par exemple! A plusieurs
reprises, Paul, le premier écrivain sur Jésus, qui continue, en
« pharisien » qu’il prétend être, à ridiculiser les païens qui
idolâtrent, place tout bonnement Jésus dans l’adoration due à l’Unique Dieu
d’Israël, sans raisonnement pour expliquer que Jésus est Dieu (Éphésiens
3, 20-21 ; Philippiens 2,10 ; 2 Thessaloniciens 1,12 ; Tite
2,13).
Ou bien ce fut une affreuse idolâtrie —invraisemblable dans un tel
milieu— , ou bien il faut penser les choses dans le sens inverse d’une
adoration assumée.
L’impact de ce Juif sur les Juifs qui crurent en lui ne
fut pas celui d’un simple homme, mais celui d’une « autorité » bien
plus haute. Paul en livre un indice : son problème de prédicateur semble
moins d’inculquer la divinité de Jésus, que de défendre son humanité :
« Si si, il est bien homme, né d’une femme, sujet de la Loi » (Ga
4,4) ! Comme si c’était sa divinité qui était une évidence. Et une telle « évidence »
ne peut s’expliquer historiquement que par le fait que Paul et les autres
premiers juifs à reconnaître en Jésus leur Dieu y était comme contraint dans
les faits.
La foi au Christ fut d’abord une « ortho-praxie »
(pratique droite), avant de devenir une « ortho-doxie » (enseignement
droit).
Le dogme christologique, bien avant de devenir une orthodoxie
gréco-romaine aux 3ème et 4ème siècles, fut une orthopraxie juive. Avant
de thématiser toute une christologie à partir du 2ème siècle, on a commencé par
poser à l’égard de Jésus des paroles et des gestes d’adoration, qu’on ne
pouvait, dans le cadre juif, poser qu’à l’égard du Dieu unique.
Tout au
long de sa vie mise en récits dans les évangiles, Jésus est adoré, prié,
invoqué comme ne peut l’être que Dieu et il ne repousse guère ces actes
d’adoration de sa personne.
Pierre (Actes 10,26) et Paul (Actes 14,15) se
fâchent quand on les vénère ou quand on se prosterne devant eux, mais jamais
Jésus ne repousse quelque forme de culte ou d’adoration qu’on lui rend
comme à un Dieu. De sa naissance à sa mort, on vient l’adorer (Hébreux
1,6), on se prosterne devant lui (Matthieu 2,11 ; 8,2), on tombe à genoux
devant lui (Matthieu 17,14), on confesse son nom (1 Jean 2,23), on le prie
(Marc 5,23) comme on prie Dieu, alors que l'Écriture dit : « tu adoreras
le Seigneur ton Dieu et à lui seul tu rendras un culte » (Deutéronome
6,13).
C’est d’ailleurs ainsi qu’on explique sa mise à mort :
« Toi qui n’est qu’un homme, tu te fais Dieu » (Jean 10,33)
« Vous
avez entendu le blasphème » (Matthieu 26,65 ; Marc 14,64). Et de même
celle de ses premiers disciples : Étienne tandis qu’il est lapidé voit
Jésus debout à la droite de Dieu et il prie en disant : « Seigneur
Jésus reçois mon esprit » (Actes 7,59) comme le Christ avait dit citant le
Psaume 30 : « Père, entre tes mains je remets mon esprit » (Luc
23,45).
Les juifs du 1er siècle, qui adoraient au Temple, n’étaient
cependant pas dépourvus de moyens pour penser la demeure de la divinité en un
homme
. On peut raisonnablement penser que la plus ancienne
« christologie » a été une théologie de l'habitation du Nom de Dieu
dans un homme (Philippiens 2,10), projetant sur le corps de Jésus ce qu’on
disait d’un bâtiment de pierres. Aux juifs qui croient en la présence de Dieu
dans un coffre de bois doré (l’arche d’Alliance) ou dans le sanctuaire du
Temple était-il vraiment incroyable que le Très-Haut choisisse de résider dans
l’homme, la plus belle de ses créatures? C’est en tout cas le pari que firent
les disciples juifs de Jésus.
8. Dans le prolongement de l’autorité déployée par Jésus lui-même
durant son ministère, bien avant l’expression du dogme christologique qui
définirait finalement l’orthodoxie dans le monde gréco-romain des 3ème et 4ème
siècles, les écrivains du Nouveau Testament se mettent à attribuer
systématiquement au Christ ce qui était strictement réservé à Dieu dans
la révélation du judaïsme.
▪ En
définitive, les Juifs qui crurent en Jésus-Christ mobilisèrent toute la
grammaire mise au point par le Dieu « jaloux » de l’Ancien Testament,
tous les titres et fonctions réservés à Dieu seul dans la Révélation
« Celui qui est » (Exode 3,14), « Seigneur » (Deutéronome
10,17), « Créateur » (Genèse 1,1), « Sauveur » (Sagesse
16,7), « Rédempteur » (Isaïe 63,16), « Puissant » (Isaïe
49,26), « Maître » (Psaume 97,5), « Juge » (Psaume 50,6),
« Lumière » (Psaume 27,1), « Saint » (Isaïe 1,4),
« Roi » (Isaïe 33,22), « Bon Pasteur » (Ézéchiel 34,12),
etc. — et attribuèrent tout cela systématiquement à Jésus : Jean
13,19 ; Jean 1,3 ; Jean 4,42 ; Jean 21,7 ; Éphésiens
1,7 ; Jean 13,13 ; Hébreux 1,3 ; 2 Tite 4,8 ; Jean
1,9 ; Apocalypse 3,7 ; 1 Jean 5,20 ; Jean 10,14). Dans
l’Apocalypse, le Vieillard (Dieu le Père) et l’Agneau (Jésus) reçoivent même
honneur et même gloire et sont tous deux adorés également (Apocalypse 5,13). On
vénère maintenant la Gloire de Jésus (2 Timothée 4,18), en attendant son Jour
(Jean 6,44), lui qui est l’Alpha et l’Oméga, le Commencement et la fin
(Apocalypse 1,8 ; 1,17 ; 21,6 ; 22,13), Seigneur des seigneurs,
et Roi des rois (Apocalypse 17,14 ; 19,16 ; 1 Timothée 6,15).
À
la fin du processus de révélation du Nouveau Testament, rien de ce qui
appartient à Dieu seul ne semble refusé à Jésus
« Au commencement
était le Verbe et le Verbe était avec Dieu et le Verbe était Dieu »
(Jean 1,1), « Mon Seigneur et mon Dieu » (Jean 20,28), « Le
Christ est au dessus de tout, Dieu béni éternellement » (Romains 9,5),
« Toute la plénitude de la divinité habite corporellement dans le
Christ » (Colossiens 2,9), « En attendant l’apparition de la gloire
de notre grand Dieu et Sauveur Jésus Christ » (Tite 2,13), « la
justice de notre Dieu et Sauveur Jésus-Christ » (2 Pierre 1,1),
« Jésus Christ est le Dieu véritable et la vie éternelle » (1 Jean
5,20). Jean, le dernier évangéliste, décrit Jésus affirmant Dieu son
propre Père (Jean 5,18) et annonçant l’Esprit qui procède du Père et
du Fils (Jean 15,26). Après avoir baptisé au Nom unique du Père, du Fils et de
l’Esprit (Matthieu 28,19).
L’Église résumerait finalement cette révélation
du Dieu unique, Père, Fils et Saint-Esprit dans le dogme de la Trinité …
Cette
adoration de Jésus a peut-être laissé une trace très concrète dans l’écriture
des premiers scribes chrétiens. En effet, ils semblent avoir traité des
mots liés à Jésus, d’une manière semblable à celle dont les scribes juifs
traitaient le tétragramme divin lui-même. En effet, ceux-ci copiaient le Nom de
Dieu YHWH en écriture paléohébraïque, dans des textes tout entiers écrits en
hébreu carré, ce qui faisait en quelque sorte clignoter le Nom imprononçable
sur la page, même pour ceux qui ne pouvaient pas lire. Dans les
manuscrits chrétiens, des noms tels que Seigneur (kurios), Dieu (theos ),
Jésus (iêsous;), Christ (christos) furent abrégés de façon
immédiatement repérables sur la page de grec cursif : KC ; ΚΥ ;
ΚΡC, ou ΘC ; ΘΥ, ou ΙC ; ΙΥ ; IΗC, ou XC XΥ ; XΡC.
Plus spectaculaire encore, on inventa un « staurogramme »,
combinaison de rho (P) et de tau (T) qui, visuellement, ressemble à un
corps mis en croix, la boucle du P figurant la tête, les deux bras du T les
bras du Crucifié. On le trouve dans les papyri chrétiens les plus vénérables
tels P 66, P75, P45 — émouvants témoignages de l’extension précoce de
l’adoration due à l’Unique en direction du Sauveur qu’Il avait envoyé….
9. Le judaïsme demeure donc la matrice indispensable à la
compréhension de la Révélation de Dieu. Le peuple juif a toujours quelque chose
à dire au chrétien, car « les dons de Dieu sont sans repentance » (Rm
11,29) comme le Concile Vatican II l’a rappelé avec insistance.
Pendant trop longtemps, pour beaucoup de chrétiens, l’histoire de Dieu
incarné dans le Juif Jésus se terminait par le fait que les Juifs n’avaient pas
voulu le reconnaître
Les juifs l’avaient rejeté, tandis que les païens (devenus chrétiens),
récupéraient le morceau, abandonnant les pauvres juifs dans les marges de
l’histoire. Dans la réalité, comme le second Concile du Vatican l’a
heureusement rappelé, « les dons et les appels de Dieu sont sans
repentance » (Romains 11,29). Contre la tendance ancienne à le réduire à
une espèce d’organe-témoin d’une évolution religieuse qui l’aurait rendu
complètement obsolète, de grands témoins de notre époque comme le Cardinal
Lustiger, saint Jean-Paul II ou le Pape Benoit XVI, très audacieux sur ces questions-là,
nous invitent à réfléchir aux enseignements que la destinée du peuple juif
d’aujourd’hui, y compris son refus antique et prolongé, ont aujourd’hui encore
à prodiguer. Avant Jésus, il y a le choix de Dieu absolument gratuit de se
révéler dans ce peuple et dans cette culture. Après le Christ, même si certains
dans ce peuple ne l’ont pas reçu, cette prédilection demeure, pour deux
raisons :
1°/ Même une fois que Jésus a « accompli » la grammaire de la
culture juive, il faut que celle-ci demeure, pour qu’on puisse Le comprendre
C’est pourquoi saint Paul invite à ne pas faire du peuple juif, un
peuple fossile : il a une destinée qui continue, et Paul ordonne même
d’espérer la réconciliation plénière de l’Ancien et Nouvel Israël de Dieu dans
l’unique Israël de Dieu. L’actuel renouveau de l’exégèse néotestamentaire sous
l’influence de nombreux universitaires juifs qui se réapproprient le Nouveau
Testament comme une part de leur propre héritage en témoigne !
2°/ Toutes les promesses de Dieu envers Israël se sont
réalisées (tout ce qui parle de Dieu dans le judaïsme est assumé d’une
manière ou d’une autre par Jésus) et se réaliseront (lorsque l’Israël de Dieu
sera totalement réuni)
Ceux parmi les Juifs qui n’ont pas reconnu en Jésus leur Messie, peuvent
donc enseigner quelque chose aux disciples de Jésus, ne serait-ce que le rappel
que Dieu est Dieu, le désir d’une instauration visible du Royaume sur la
terre, l’espérance d’une nouvelle création où la paix soit universelle.
Puisse la contemplation de la judéité du Christ rendre aux chrétiens le
désir de redécouvrir le Jésus réel qui vécut en Galilée, en Samarie et en Judée
il y a plus de 2000 ans, non pas selon les inventions des XVIIIème –XIXème
siècles, mais en se replaçant patiemment, dans son milieu et sa culture juifs.
Plus on le découvre juif, au fil des progrès de la connaissance du judaïsme
antique, plus on le découvre « catholique » !
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire