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mercredi 20 décembre 2017

Neuf jours avant Noël : la généalogie de Jésus


Du 17 au 24 décembre, pendant les neuf jours qui précèdent Noël, l’église entre dans une période de préparation de la fête. Les lectures de l’Evangile se concentrent sur les évènements qui amènent à la naissance de Jésus à Bethléem. Le Père David Neuhaus donne quelques commentaires sur la lecture qui ouvre cette période : la généalogie de Jésus en Matthieu 1 :1-17.
Dans de nombreuse s communautés à travers le monde, la lecture de Matthieu 1 :1-17 est une gageure pour le lecteur, du fait des noms étranges et compliqués qui constituent la généalogie de " Jésus Christ fils de David fils d’Abraham" (Matthew 1:1). Ce texte, le premier du Nouveau Testament, inscrit Jésus dans l’histoire du peuple d’Israël, comme fils d’une famille qui descend de David et d’Abraham, et d’autres personnages plus ou moins connus dans l’histoire du peuple de la promesse. Dans nos communautés, nous lisons avec une certaine aisance ces noms hébraïques, mais cela vaut néanmoins la peine de tenter de comprendre la signification de cette généalogie.
Prenons pour principe de lecture, lorsque nous faisons la lecture spirituelle et théologique de cette généalogie, qu’à chaque fois que Matthieu en dit plus que la simple mention du nom du père engendrant le fils, nous sommes invités à remarquer l’ajout et à essayer de comprendre son sens : qu’ajoute-t-il à notre compréhension de Dieu nous envoyant son fils ? Qu’il suffise d’en donner quelques exemples.
1. Il est frappant que dans toute cette généalogie, Matthieu ne mentionne qu’un seul évènement historique . "Josias engendra Jékonias et ses frères à l’époque de l’exil à Babylone" (Matthieu 1:11). Le texte par la suite souligne à nouveau l’évènement : "Et après l’exil à Babylone" (Matthieu 1:12). La mention de l’évènement de l’exil d’autant plus exceptionnelle que Matthieu ne mentionne aucun autre évènement historique : ni la sortie d’Egypte, ni le don de la Torah, ni le temps du désert, ni l’entrée en Terre Promise. Il se peut donc qu’aux yeux de Matthieu l’exil soit par excellence l’évènement de l’histoire du peuple qui le forme à se préparer pour recevoir le Messie.
Il est important de remarque que la mention de l’exil dans la généalogie comporte une expression peu habituelle : un père engendre un fils et ses frères. De fait, on ne trouve de cette expression qu’une seule autre occurrence dans le texte : "Jacob engendra Juda et ses frères". Dans les deux cas, il s’agit d’un grand héros qui engendre des fils pécheurs : Jacob engendre Juda et ses frères qui trahiront leur propre frère Joseph, et blesseront gravement leur père ; Josias, le roi juste, tué par les égyptiens, engendre des fils qui trahissent l’héritage de leur père et entraînent le peuple sur un chemin de perdition jusqu’à la destruction de Jérusalem (2 Rois 22-25). Dans les deux cas, la trahison des fils mène à une période d’exil : en Egypte (au temps de Jacob et de ses fils) et à Babylone (au temps des fils de Josias).
Cependant, il y a aussi une autre chose qui apparaît clairement lorsqu’on médite sur le destin de Jacob, Josias et leurs fils. Jusqu’à Jacob et ses fils, le peuple n’était guère qu’une promesse. Ce sont les fils de Jacob qui constituent le peuple d’Israël, composé des douze tribus. La genèse du peuple advient lorsque Jacob reçoit le nouveau nom d’Israël. La fin du peuple advient avec Josias et ses fils. En effet, le peuple qui subit l’effondrement du Royaume de Juda, la destruction de Jérusalem et du Temple, est un peuple qui, selon toute évidence naturelle, est mort. Un peuple sans terre, sans culte, sans gouvernement, a déjà cessé d’être un peuple. La déportation à Babylone est le tombeau du peuple. L’expression "au temps de l’exil à Babylone" (1:11) évoque donc la fin tragique du peuple d’Israël et l’"échec" du plan de Dieu, qui avait choisi ce peuple pour être la lumière des nations. Au lieu d’être la lumière des nations, les fils de Josias ont fait choix des nations pour être leur lumière (ainsi que l’ont fait avant eux les nombreuses générations de rois d’Israël et de Juda). Lors de la lecture de la généalogie de Matthieu, le lecteur est invité à marquer une pause à cet endroit, afin de faire mémoire, par un instant de silence, de la tragédie que ce verset exprime.
La suite, au verset 12, "après l’exil à Babylone", n’est pas la suite banale d’un texte dépourvu de signification, mais bien plutôt la proclamation d’un miracle. L’"après" qui suit l’exil à Babylone nous révèle une réalité essentielle du Dieu d’Abraham, Isaac et Jacob : sa fidélité au peuple malgré sa trahison. Le peuple a trahi Dieu et a choisi la mort au lieu de la vie (Deutéronome 30 :15-20). Cependant Dieu n’autorisera pas la victoire de la mort, mais il viendra faire sortir le peuple du tombeau de l’exil. Dans l’histoire du peuple d’Israël, le "retour à Sion" est une résurrection d’entre les morts. Avec l’exil, l’existence naturelle du peuple est arrivée à sa fin. Avec le retour, une existence surnaturelle commence, qui mène jusqu’à la naissance de Jésus à la fin de la généalogie. Matthieu nous fait comprendre que le retour est une préparation à la surprise du fait de retrouver Jésus vivant, lors de sa résurrection d’entre les morts.
2. Une partie importante de la généalogie est consacrée aux rois de Juda de David à Jékonias. L’ajout du mot "le roi" (1 :6) dans la description de David le distingue des autres rois et marque qu’il est le premier roi mentionné dans la généalogie. Il est également essentiel, lors de cette lecture, de méditer la figure du roi. Au moment de la naissance du peuple durant l’Exode d’Egypte, le verset constitutif est : "Le Seigneur sera votre roi à jamais" (Exode 15:18). Lorsque le peuple entre en terre promise, le fait qu’il réclame un roi de chair et de sang est le signe tragique qu’il a abandonné le chemin de la Torah. Du temps de Gédéon, le peuple demande un roi et Gédéon, le chef juste, leur rappelle que ni lui ni ses fils ne seront rois, car "Dieu règne sur vous" (Juges 8:23). Cependant Abimélech, fils illégitime de Gédéon, est couronné roi à Sichem. À l’époque de Samuel, le peuple demande un roi malgré les mises en garde de Samuel (1 Samuel 8) et insiste jusqu’à ce que Saul soit fait roi. Même David, le roi bien-aimé, pèche gravement, et il est intéressant de noter que son grand péché est rappelé par Matthieu, qui fait mention de la mère de Salomon, "la femme d’ Urie" (Matthieu 1:6). Un roi de chair et de sang tend à ressembler plus à un Pharaon qu’à son Père qui est aux Cieux. C’est de cette réalité tragique que le peuple fait l’expérience jusqu’au temps de l’exil. C’est aussi la réalité que vit le vrai roi, Jésus Christ, lorsqu’il est confronté aux rois de chair et de sang de son époque. Matthieu souligne ce conflit du début de la vie de Jésus lors de l’épreuve de force entre Hérode et le Messie né à Bethléem. Tout croyant est appelé à choisir son roi : soit Dieu, soit le roi de ce monde.
3. Il y a encore un autre ajout intéressant dans cette généalogie : la mention de cinq mères. Les pères représentent la continuité d’Abraham à Jésus, mais cinq fois le texte mentionne la mère qui a donné naissance au fils que le père l’a engendré. Ces cinq mères sont : Tamar (1:3), Rahab (1:5), Ruth (1:5), la femme d’Urie (1:6) et Marie (1:16). Chacune d’elle nous offre une surprise lorsque nous nous penchons sur son histoire. Tamar, la belle-fille de Juda, se déguise en prostituée pour recouvrer ses droits (Genèse 38). Rahab la Cananéenne prostituée de Jéricho est sauvée avec toute sa maison à cause de sa foi dans le Dieu d’Israël (Josué 2 et 6). Ruth la Moabite appartient selon la Torah (Deutéronome 23) à une race maudite mais apporte la lumière au peuple d’Israël aux temps sombres des Juges par sa foi et sa loyauté (livre de Ruth). (Il est intéressant de noter que Matthieu écrit ce qu’on ne trouve dans aucune autre source : que Rahab est la seconde mère légitime de Ruth – la première étant Noémi). La présence de la femme d’Urie, qui n’est pas nommée, fait référence au péché du Roi David (2 Samuel 10-11). Finalement, Marie, "de qui est né Jésus", apparaît comme la cinquième de ces femmes. Sa présence prépare le lecteur au récit centré sur Joseph le juste, qui à la fois est le père de Jésus et n’est pas son père du tout. Ces cinq femmes disent combien surprenante est l’entrée de Dieu dans l’histoire d’un peuple pécheur, venant le mener à la vie, à la lumière et à la vérité.

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